L’ancien et le nouveau
Le 1er décembre 2011
Cette deuxième adaptation hugolienne d’Albert Capellani est un grand film malgré quelques faiblesses dues aux circonstances de son achèvement.
- Réalisateurs : Albert Capellani - André Antoine
- Acteurs : Henry Krauss, Maurice Schutz, Paul Capellani, Georges Dorival, Charlotte Barbier-Krauss, Philippe Garnier, Maximilien Charlier
- Genre : Drame, Historique
- Nationalité : Français
- Durée : 2h50mn
- Plus d'informations : http://filmographie.fondation-jerom...
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– Tournage : printemps - été 1914
– Sortie en deux parties de la version complétée par André Antoine : mai et juillet 1921
Cette deuxième adaptation hugolienne d’Albert Capellani est un grand film malgré quelques faiblesses dues aux circonstances de son achèvement.
L’argument : Alors que la Révolution triomphe à Paris, l’Ancien Régime semble perdurer en Bretagne sur les terres du Marquis de Lantenac. Le neveu de ce ce dernier, Gauvain, surprend un paysan en train de braconner et s’apprête à le punir. Mais l’abbé Cimourdin, acquis aux Lumières, l’en empêche.
Lorsqu’il prête au jeune homme la Nouvelle Bible, Le Contrat social de Rousseau, Gauvain devient bientôt un républicain convaincu et refuse de suivre son oncle partant rejoindre les immigrés en Angleterre. Il s’engage même dans l’Armée du Rhin comme simple soldat tandis que Cimourdin rejoint le Comité de Salut Public.
Chargé de diriger la contre-révolution, le marquis débarque dans la baie du Mont-Saint-Michel. Sous son commandement les troupes de paysans vendéens infligent de lourdes pertes aux Gardes Nationaux.
Gauvain, devenu officier, est chargé de reprendre en main la situation. Cimourdin l’accompagne et le surveille.
Notre avis : Ecrit à Guernesey et publié en 1874, alors que la fragile Troisième République est menacée d’une restauration monarchique et que s’affrontent républicains, orléanistes et légitimistes, le Quatre-vingt-treize de Victor Hugo est un roman historique dont les résonances avec la situation du moment ne sont évidemment pas fortuites. L’auteur y réalise le programme qu’il s’était fixé dès 1854 : Moi, si je faisais l’histoire de la Révolution (et je la ferai), je dirais tous les crimes des révolutionnaires, seulement je dirais quels sont les vrais coupables, ce sont les crimes de la monarchie.
Très respectueuse du roman, l’adaptation qu’en réalise Albert Capellani durant l’été 1914, met en avant, dans les premières scènes, l’iniquité de l’Ancien Régime en décrivant la vie misérable des paysans bretons (le châtiment qui punit le braconnage) mais se refuse à charger excessivement la figure du Marquis de Lantenac, dont l’interprétation sobre et énergique de Philippe Garnier fait ressortir à la fois l’intransigeance bornée et une indéniable grandeur de caractère.
A ce personnage représentant les forces réactionnaires, s’oppose celui de l’inflexible Cimourdin. Le prêtre défroqué n’est pas véritablement au centre de l’action mais sa figure domine le film et Henry Krauss, effrayant et pathétique à la fois, lui confère une dimension hallucinée et presque surhumaine : défenseur fanatique de la Révolution menacée il se résout, la mort dans l’âme, à lui sacrifier celui qui est pour lui bien plus qu’un fils spirituel, le jeune Gauvain, neveu du marquis, coupable de pitié envers l’adversaire (il laisse échapper son oncle).
Paul Capellani, frère du réalisateur, réussit à faire exister à l’écran ce héros positif, acquis aux idées nouvelles mais attaché aux valeurs d’humanité, qui risquait, écrasé par ces deux monstres formidables, de paraître bien fade.
Le trio Gauvain-Cimourdin-Lantenac occupe clairement le devant de la scène même si le peuple est bien là, représenté par quelques figures emblématiques telles que la Flécharde (Charlotte Barbier-Krauss), mère désespérée à qui on a dérobé ses enfants, le sergent Radoub (Georges Dorival), à la bonhommie bourrue, ou le Caiman, mi mendiant, mi sorcier.
Capellani ne manque pas non plus de faire figurer dans son film la réunion imaginaire, inventée par Hugo, entre Marat, Danton et Robespierre discutant de l’attitude à adopter face aux forces qui mettent en péril la Révolution.
Terminé en août 1914 le film ne put être distribué comme prévu, la censure ayant jugé inopportune l’évocation d’une guerre civile au moment de l’appel à l’Union Nationale. Ce n’est qu’en 1921 que Quatre-vingt-treize sortit enfin en salles, monté et complété par André Antoine.
Celui-ci, grand homme de Théâtre, fut un admirable cinéaste comme en témoignent Le coupable, La terre, Mademoiselle de la Seiglière ou L’Arlésienne. Bien que nous ne disposions pas d’informations suffisantes pour vraiment évaluer son apport ici, il est tentant d’attribuer à ses interventions les faiblesses du film : certains plans, notamment dans la dernière partie, qui n’ont pas la rigueur de composition si caractéristique du style Capellani et un montage qui tente maladroitement de concilier l’esthétique en tableaux de 1914 aux conceptions en vigueur sept ans plus tard.
Pourtant si le film cède parfois à une rhétorique un peu creuse ou à un pathos trop appuyé et ne réitère qu’en partie la réussite éclatante des Misérables (photo ci-contre)
un véritable souffle hugolien habite l’ensemble et lui permet d’atteindre souvent une beauté et une force stupéfiante.
Très impressionnante est par exemple la scène du débarquement du marquis sur la plage déserte devant le Mont Saint-Michel et sa rencontre inopinée avec le Caiman.
On reste également pantois à la vision du prodigieux plan séquence qui fait longuement défiler tout le bataillon des bleus et se prolonge, une fois le dernier soldat sorti de l’image, sur la lande déserte jusqu’à ce que le spectateur, intrigué par cette immobilité suspecte, s’attende à voir surgir les chouans embusqués qui ne tardent d’ailleurs pas à apparaître, comme sortant de terre, pour bientôt envahir toute l’image et nous faire prendre conscience avec effroi qu’ils étaient là, invisibles, depuis le début.
La grandiose chorégraphie de la séquence du couvent, avec les nonnes s’enfuyant au fond des allées du cloître ou fermant toutes ensembles les volets des grandes fenêtres auxquelles elles étaient appuyées pour assister à l’arrivée du bataillon de Gardes Nationaux fournit elle aussi un très bel exemple du génie de la mise-en-scène de Capellani, immense cinéaste qu’une édition DVD bienvenue nous permet de redécouvrir.
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