Maillet meurtier
Le 2 novembre 2014
Ce drame ahurissant dépasse le niveau de la réjouissante parodie grâce à la mise en scène de Capelliani et à la présence renversante de Mistinguett.
- Réalisateur : Albert Capellani
- Acteurs : Henry Krauss, Mistinguett, Paul Capellani, Marc Gérard, Gina Barbieri, Cécile Guyon, Henri Collen, Raoul Praxy
- Genre : Drame, Film muet
- Nationalité : Français
- Durée : 1h37mn
- Plus d'informations : http://filmographie.fondation-jerom...
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Ce drame ahurissant dépasse le niveau de la réjouissante parodie grâce à la mise en scène de Capelliani et à la présence renversante de Mistinguett.
L’argument : La Glu (car « qui s’y frotte s’y colle ») est la fille d’un modeste professeur de campagne. Séductrice sans remords, elle attire les hommes par son charme étrange.
Sa première victime est le docteur Cézambre qui l’épouse mais découvre vite les trahisons de sa femme et la chasse. Avide de liberté, La Glu vient à Paris où se groupe autour d’elle un cercle d’amoureux. Elle tourne la tête au jeune et fortuné Adolphe des Ribiers mais le quitte lorsqu’elle s’aperçoit que ce dernier ne peut plus solder ses dettes.
Elle s’installe alors en Bretagne où un marin pêcheur se prend de passion pour elle. Elle va se heurter, en la personne de Marie-Pierre, à l’amour brutal, l’amour-passion, celui qui est sauvage, violent, ne connaît aucune règle, aucune contrainte, jette l’homme hors de lui, et le ramène à l’état de brute primitive. Pour La Glu, il oublie le respect, l’amour filial. Pour elle, il repousse durement la tendresse de sa fiancée Anaïk. Il est prêt à tuer, à se jeter, comme un fauve qui défend sa proie, sur ses rivaux. La mère, farouche gardienne de “son gâs”, ne parvient pas à arracher Marie Pierre à sa fatale passion.
Un jour que La Glu pousse l’audace jusqu’à venir le reprendre chez elle alors qu’on le croyait guéri de sa passion destructrice, la mère tue d’un coup de maillet la gueuse qui lui a pris son fils. (Texte : fondation-jeromeseydoux-pathe.com)
Notre avis : Basée sur l’adaptation scénique d’un roman alors célèbre de Jean Richepin publié en 1881, cette première version de La glu, qui précède celles, bien moins connues, de Henri Fescourt (1926, avec Germaine Rouer) et de Jean Choux (1938, avec Marie Bell), ne renie pas son origine théâtrale, la mise en scène de Capellani privilégiant le plan long et le cadre fixe en jouant avec maestria sur la profondeur du champ ainsi que sur les entrées et sorties latérales même si elle sait aussi recourir à l’effet dynamisant de lents pivotements sur l’axe ou de panoramiques accompagnant les cheminements des acteurs, en particulier dans la partie finale du film, lorsque l’action s’emballe.
Ce sont avant tout les savoureuses compositions d’acteurs qui tirent le film de manière parfaitement délibérée vers le vaudeville (scènes très drôles des trois prétendants ridicules faisant antichambre ou de la noyade feinte), voire le grotesque de la farce.
Le plaisir de s’adonner à l’outrance parodique, mais calculée, est en effet clairement perceptible chez Marc Gérard en vieillard facétieux aux rides peintes en noir sur le visage ou dans la mine pugnace de Gina Barbieri en mère vindicative finissant par brandir un maillet meurtier ; mais aussi et surtout chez Henry Krauss en homme mûr et posé, figure d’autorité tranquille soudain fragilisée et revélant ses failles ou chez Paul Capellani en benêt mal dégrossi explosant littéralement d’énergie (le cirage de chaussures frénétique ; le pot de fleur lancé de la fenêtre contre sa mère qui l’invective de la rue ; l’inénarrable coup de boule contre le mur qui le laisse étendu au sol, la tête sanguinolente !)
Ces excès très dosés, éloignés de toute gesticulation approximative, contrastent avec une volonté naturaliste manifeste dans l’exactitude des gestes (le même Paul Capellani s’est visiblement documenté précisément sur le travail d’un pêcheur breton) et un souci d’enregistrement documentaire très poussé. La plupart des scènes sont tournées en extérieurs naturels, que ce soit à Paris (étonnante séquence du Pré Catelan) ou dans les environs du Croisic, et Capellani prend soin de ne pas subordonner la toile de fond à la fiction, de lui laisser sa vie propre, son caractère irréductible, installant par exemple des jeunes commis de poste en uniforme qui fument et conversent tranquillement derrière le personnage (Adelphe) en train de glisser sa lettre dans la boite au premier plan.
- La glu - Capellani 1913 - SCAGL / Pathé
Surtout il sait admirablement donner l’impression de capter la performance en direct, en temps et espace réel : l’acrobatique danse chaloupée sur la terrase du café pendant qu’en montage alterné l’amoureux éconduit rédige sa lettre ; l’héroïne s’emparant d’un crabe gigotant dans le panier que vient de lui offrir le pêcheur amoureux ou escaladant au petit matin les rochers en tenue légère (une espèce de pyjama blanc certainement très osé pour l’époque) ; Le marin sautant sur l’automobile en marche (à 20 à l’heure il est vrai !).
Partout, on reste sidéré par un art de la mise en scène capable d’animer irrésistiblement le moindre plan fixe : Fernande venant du fond, se couchant dans le hamac suspendu en travers de l’image au premier plan, puis se relevant et repartant presque aussitôt ou, ailleurs, de dos à la fenêtre, regardant Marie-Pierre couché sur le ventre dans l’herbe en contrebas et levant les yeux vers elle. Mais, dans la scène finale, le bref insert de la mère qui va chercher le maillet dans l’arrière cour démontre que les ressources du montage dramatique ne sont pas ignorées non plus par un cinéaste maîtrisant parfaitement son outil.
Le film resterait cepandant en retrait par rapport aux grandes réussites de capellani telles que Les Misérables ou Germinal si la présence renversante de la formidable Mistinguett ne lui permettait de transcender ses aspects parodiques et trop prévisibles.
La singularité d’un visage et d’un physique étrangers aux canons de beauté de son époque comme de la notre (ne fut-elle pas, en 1912, La Moche dans une bande de Georges Denola ?), mais surtout son jeu moderne, presque détaché, affichant une espèce de désinvolture insolente, ne cessent de stupéfier et rendent son personnage totalement imprévisible. C’est avant tout grâce à elle que ce film finalement inclassable résiste vaillamment à toute vision réductrice et continue de nous ébahir et de nous combler.
- La glu - Capellani 1913 - SCAGL / Pathé
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