Souvenirs goutte à goutte
Le 14 juin 2024
Produit par le studio Ghibli en même temps que Mon voisin Totoro, Le Tombeau des lucioles a été quelque peu éclipsé auprès du grand public par le succès international de ce dernier. Pourtant le long-métrage d’Isao Takahata constitue rien de moins que le pendant du dessin animé pour enfants de Hayao Miyazaki.
- Réalisateur : Isao Takahata
- Genre : Drame, Animation, Film de guerre, Manga
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Les Films du Paradoxe
- Editeur vidéo : Kazé
- Durée : 1h30mn
- Titre original : 火垂るの墓 [Hotaru no haka]
- Date de sortie : 19 juin 1996
L'a vu
Veut le voir
– Année de production : 1988
Résumé : Été 1945, le {bombing carpet} des B-29 américains réduit en cendres la ville de Kôbe. Le jeune Seita et sa sœur de quatre ans, la petite Setsuko, quittent leur maison pour rejoindre un des abris de la ville. Ils réussissent à échapper à la pluie d’obus incendiaires, mais leur mère, restée au foyer, n’y survit pas et meurt à l’hôpital quelques jours plus tard. Les deux jeunes orphelins sont recueillis par leur tante, une femme égoïste et cruelle, que leur sort ne semble pas émouvoir. Jusqu’au jour où ils décident de s’installer seuls dans un refuge, grâce à l’argent de leurs parents...
Critique : Dans le titre du récit, l’auteur a donné au mot « lucioles » une graphie originale signifiant littéralement : « feu qui tombe goutte à goutte » nous signale Patrick de Vos, le traducteur français de la nouvelle d’Akiyuki Nosaka, La Tombe des lucioles. De fait, si l’adaptation de l’œuvre par Isao Takahata a retiré au propos sa dimension autobiographique, elle en a conservé toute la profondeur et toute la poésie. Ce qui constitue, en effet, la portée de cette tragédie, c’est sa résonance collective, dans laquelle s’inscrivent sans cesse les deux jeunes orphelins.
Tous, en effet, au Japon ont vu les « coléoptères », les feux tombant du ciel, s’abattre sur leurs maisons, embrasant tout sur leur passage, comme si leur propre orgueil leur retombait sur la tête : car dans le rêve que fait Seita au début du film, les lucioles symbolisent la puissance militaire de son pays, les rayons qui couronnent l’Hinomaru, le soleil impérial, sur le drapeau japonais. Le lendemain, la mort les a frappés et la jeune Setsuko les enterre : la flotte nippone vit ses dernières heures et le père des enfants, officier dans la marine, a été tué.
- Copyright : Studio Ghibli / Kazé
Isao Takahata, tout comme Shōhei Imamura, a toujours été préoccupé par cette tendance des Japonais à l’oubli, dont la conséquence est la réhabilitation latente des militaires, qui anime notamment la querelle des manuels scolaires. Le Tombeau des lucioles assume ainsi pleinement le rapport polémique au spectateur que Nosaka avait déjà insufflé à sa nouvelle : le film n’a pas été conçu pour les enfants mais selon le réalisateur « il suscite chez eux une expérience qui relève du cinéma, de l’illusion », c’est-à-dire du conte. La forme animée du récit renforce ainsi l’efficacité d’un apologue qui transcende son statut d’« image dérisoire ».
De même, tout comme la prose de La Tombe des lucioles avait indigné par sa crudité, le parti pris naturaliste du film a encouru les foudres de la censure : personne n’avait imaginé qu’un réalisateur d’anime pût un jour mettre en image la mort d’un enfant. Takahata a violé ce tabou, non pas pour renforcer le pathos de son récit, mais pour rendre à nouveau présente cette mort qu’à force de voiler, trop de gens ont oubliée : dans le long-métrage, la faim, la maladie sont matérialisées par l’hyperréalisme des décors, des personnages, de leurs visages de mômes.
- Copyright : Studio Ghibli / Kazé
Mais que reste-t-il de l’enfance lorsque les larmes ne sont plus permises, lorsque pour survivre malgré l’indifférence et l’égoïsme des adultes, il faut s’abandonner au vol, se réjouir même des bombardements ennemis qui laissent le champ libre à toutes les rapines ? La négation des valeurs et l’abandon de la dignité n’a, dans Le Tombeau des lucioles, d’autre cause que les affres de la guerre. Sous les bombes, l’être humain est poussé jusque dans ses retranchements. Si Takahata semble avoir voulu décharger Seita de la culpabilité de Nosaka, le constat n’en reste pas moins triste : le cadavre d’un enfant abandonné ne semble émouvoir personne, si ce n’est pour des raisons d’hygiène. Plus que la ruine du Japon, c’est celle de l’homme que dépeignent les animateurs du film. Ces étendues désolées, balayées par les cendres et la poussière ont suscité l’effondrement de toutes les certitudes : l’instinct de survie individuel a anéanti toute forme de destin collectif.
Mais quand Nosaka prêchait le nihilisme, refusant de croire à l’utopie d’une communauté humaine, Takahata opte pour un optimisme poétique et merveilleux. Car de la boîte de bonbons, tombeau de fortune de la petite Setsuko mais surtout source d’un plaisir simple et innocent, renaissent les lucioles, et avec elles la lueur d’espoir qu’incarnent ces deux orphelins à jamais unis. Juste de quoi faire verser quelques larmes au spectateur, si peu émotif soit-il...
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.