La vie est un roman
Le 11 avril 2006
Truman Capote invite le fait divers dans la grande littérature. Magistral.
- Auteur : Truman Capote
- Editeur : Folio
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche, Classique de la littérature
- Date de sortie : 28 mars 1972
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Veulent le lire
– Regards croisés : Truman Capote, le film de Bennett Miller (2006) sur la genèse de l’ouvrage ; De sang-froid, le film tiré par Richard Brooks du livre de Truman Capote (1967) ; Capote in Kansas, la BD de Parks & Samnee
Truman Capote invite le fait divers dans la grande littérature. Magistral.
Novembre 1959 : quatre membres d’une même famille sont sauvagement assassinés, dans un tranquille village du Kansas. Truman Capote, écrivain aussi mondain que reconnu, flaire là matière à donner une nouvelle portée à son œuvre. Il se rend sur les lieux. Interroge chaque individu lié de près ou de loin à l’affaire. Y compris les criminels.
Dans son film Truman Capote, le réalisateur Bennett Miller tentait de sonder la part de vampirisme, et le caractère autodestructeur d’une telle démarche. Pourtant l’essentiel est sans doute ailleurs : avec De sang-froid, Truman Capote signe son chef-d’œuvre. Mieux, il invente un genre, le non-fiction novel : autrement dit, le réel fait irruption dans le roman. Non qu’il en ait été à proprement parler absent auparavant. Mais quand ses prédécesseurs, en particulier les romanciers du XIXe siècle, préféraient la grande histoire ou utilisaient le fait divers comme point de départ, Truman Capote suit avec une minutie maniaque le déroulement d’un crime donné. La formule irriguera tout un courant de la littérature contemporaine. Car il interroge durablement notre rapport à la fiction : une histoire est-elle meilleure si elle est vraie ? En quoi nous intéresse-t-elle davantage ? A l’heure où JT Leroy ou James Frey sont en pleine turbulence pour avoir fait passer le fruit de leur imagination pour du vécu, la question reste ouverte.
Ce qui fascine dans De sang-froid, c’est que Truman Capote ne gomme ni l’horreur absolue du crime ni la troublante humanité des assassins. Avec un sens du détail glaçant, mais sans cultiver le goût du spectaculaire, l’écrivain plonge son lecteur dans les tenants et les aboutissants d’un drame aussi sanglant qu’absurde. Il redonne vie à la famille massacrée, à la mère dont l’esprit battait la campagne, à sa fille, lycéenne radieuse, fiancée idéale de tout un village. Surtout, le lecteur pénètre dans la conscience trouble des meurtriers.
Truman Capote nous montre d’où ils viennent, et la mécanique implacable qui les a conduits au pire, presque sans le savoir. "Il [...] était possible de regarder sans colère l’homme qui était à côté de lui - avec une certaine sympathie, même - car la vie de Perry Smith n’avait pas été un lit de roses mais un cheminement pitoyable, sinistre et solitaire vers une série de mirages", se prend à penser un ami des victimes, confronté à l’un des assassins. Non qu’il s’agisse d’excuser les coupables. Ce sont des paumés à l’existence misérable, mais guère plus pitoyable que celle de milliers d’autres. Comment expliquer, alors, ce terrifiant passage à l’acte ? Truman Capote, bien sûr, ne tranche jamais cette insondable interrogation. Mais il fait preuve de ce don essentiel au romancier : l’empathie. Le talent d’habiter une autre conscience que la sienne, de donner une voix à celui que personne n’avait envie d’entendre. Jusqu’au vertige.
Truman Capote, De sang-froid (In cold blood, traduit de l’anglais par Raymond Girard), Gallimard, Folio, 2006, 506 pages, 7 €
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