Un manchon pour l’hiver
Le 2 avril 2013
Précédant de quatre ans une deuxième version américaine plus articulée, la première adaptation du roman de Murger par Capellani est comme un saisissant instantané qui crée l’illusion de filmer en direct le Paris de 1840.
- Réalisateur : Albert Capellani
- Acteurs : Paul Capellani, Suzanne Révonne, Charles Dechamps, Paul Gerbault, Juliette Clarens, Léon Belières
- Genre : Historique, Mélodrame, Film muet
- Nationalité : Français
- Durée : 35mn
- Date de sortie : 15 mars 1912
- Plus d'informations : http://filmographie.fondation-jerom...
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Précédant de quatre ans une deuxième version américaine plus articulée, la première adaptation du roman de Murger par Capellani est comme un saisissant instantané qui crée l’illusion de filmer en direct le Paris de 1840.
L’argument : Rodolphe vit joyeusement dans sa mansarde, en compagnie de son ami le peintre Marcel quand il fait la connaissance de Mimi, une exquise grisette, fleur de grâce et de printemps. Une idylle s’ébauche et la jeune fille, chassée de son modeste logis par un propriétaire implacable, vient demander asile à son ami. Le rosier que Rodolphe donne à Mimi sera le symbole de leur amour qui durera tant que ses fleurs ne se faneront pas ! Les deux amoureux soignent chacun en cachette le délicat arbuste, mais malgré leurs efforts, les roses finissent par s’effeuiller. Un soir, inconstante, Mimi, prise au mirage d’une vie de luxe qui s’offre à elle, déserte la mansarde, abandonnant celui qui l’aime. Mais avec la fortune, la grisette n’a pas trouvé le bonheur. Elle s’en revient un jour d’hiver, grelottante, malade, épuisée, “oiseau volage à l’ancien nid”. Rodolphe sent toute sa rancune se fondre au retour de la pauvrette, mais il a beau la soigner, la phtisie est la plus forte et, dans la chambre où ils vécurent tous deux des heures si délicieuses, Mimi s’endort pour toujours, pelotonnant frileusement ses pauvres mains amaigries dans un petit manchon, dernier caprice de sa fantaisie, dernière offrande de ses amis de la Bohème. (Résumé : filmographie.fondation-jeromeseydoux-pathe.com)
Notre avis : Cette adaptation de La vie de Bohème (1845 / 1851) d’Henri Murger qu’Albert Capellani réalise en 1912 pour la Société cinématographique des auteurs et gens de lettres (SCAGL) précède celles, plus connues (et remarquables) de King Vidor (1926) et de Marcel Lherbier (1942/45) mais appelle d’abord la comparaison avec celle que Capellani lui-même tournera quatre ans plus tard aux Studios Paragon de Fort Lee (New Jersey) pour la World Film Compagny.
Le film américain, production opulente qui fait revivre le Paris de 1840 avec un soucis exquis du pittoresque documentaire, est une merveille d’humour, de vivacité, de délicatesse. Il appartient à une période où les codes de la narration cinématographique classique sont déjà en place mais où leur mise en oeuvre, virtuose, échappe à la routine et à une finition trop léchée. Le scénario bien agencé de France Marion et la mise en scène d’une inventivité constante captivent (et canalisent) l’attention du spectateur avec un art affirmé de l’enchaînement dramatique tout en déployant une étonnante richesse de motifs plastiques.
Une troupe d’acteurs en verve donne un relief véritable à tous les personnages. On regrettera juste que le puritanisme américain et le jeu un rien appliquée d’Alice Brady aient légèrement affadi le personnage de Mimi, alors que Paul Capellani, qui était déjà Rodolphe quatre ans plus tôt, affine considérablement son interprétation, aidé, il est vrai, par des plans plus rapprochés et une barbe plus discrète.
- La Bohème (Capellani 1912) © Fondation Jérôme Seydoux Pathé
La comparaison des versions de 1912 et de 1916 fait pourtant apparaître que nombre d’éléments de mise en scène de la seconde sont déjà présents dans la première.
Celle-ci, plus modeste en termes de production (trois jours de tournage), plus courte (à peine plus d’une demie-heure), moins articulée dramatiquement (l’intrigue est réduite à ses grandes lignes), plus fruste en quelque sorte, tire sa force et sa beauté de la parcimonie même du langage cinématographique auquel elle recourt : essentiellement des plans d’ensemble peu découpés, quelques discrets mouvements de caméra.
L’attention du spectateur y est moins dirigée, on ne lui suggère pas ce qu’il doit éprouver, penser ; elle est du coup plus flottante mais plus réceptive pour tout ce qui surgit dans des tableaux superbement composés, riches de détails et de micro-événements, qui sont autant d’instantanés dont la force vitale déborde le cadre de la fiction, du mélodrame.
Les acteurs s’agitent avec l’exubérance juvénile qui convient mais avec un merveilleux naturel, sans chercher à souligner le sens, évitant du coup d’enfermer leurs personnages dans une psychologie figée et empêchant tout jugement moral expéditif.
Tournant majoritairement en extérieurs dans un Paris resté en partie intact depuis le temps de Murger (une impressionnante porte cochère, les scènes dans le jardin du Luxembourg...) Capellani arrive à créer l’illusion troublante de filmer sa vie de Bohème en direct.
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