Le 9 avril 2024
Un chef-d’œuvre à la fois épique et intime, qui fait d’une interrogation personnelle un drame sombre et d’une inventivité constante.
- Réalisateur : Akira Kurosawa
- Acteurs : Tsutomu Yamazaki, Ken’ichi Hagiwara, Tatsuya Nakadai, Jinpachi Nezu, Hideji Ōtaki
- Genre : Drame, Historique, Film de guerre, Film culte
- Nationalité : Américain, Japonais
- Durée : 3h00mn
- Date télé : 9 juin 2021 13:35
- Chaîne : Arte
- Reprise: 28 octobre 2015
- Date de sortie : 1er octobre 1980
- Festival : Festival de Cannes 1980
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Résumé : En 1573, le Japon est le théâtre de guerres incessantes entre clans rivaux. Le plus puissant de ces clans est commandé par Shingen Takeda. Au cours du siège du château de Noda, Takeda est blessé à mort par un tireur embusqué. Pour éviter que son clan perde de sa cohésion dans des luttes intestines, Shingen demande que sa mort reste cachée pendant trois ans. Un ancien voleur, épargné pour sa ressemblance avec le seigneur de la guerre, fait alors office de doublure avec la complicité des généraux, afin de duper leurs nombreux ennemis à l’affût.
Critique : Kagemusha représentait pour Kurosawa une sorte de renaissance ; après l’échec de Dodes Ka-den, l’exil de Dersou Ouzala, après dépression et tentation suicidaire, il lui fallut cinq ans et l’aide de Lucas et Coppola pour revenir aux films en costumes (Kagemusha, puis Ran) qui avaient fait sa gloire. Mais il ne s’agissait pas pour lui de refaire Les sept samouraïs et on peut voir cette œuvre comme une méditation sur le sort du cinéaste autant que sur le cinéma lui-même. Car, pour qui attendait une fresque épique, avec batailles et couleurs flamboyantes, Kagemusha commence par une déception : un plan-séquence de six minutes, qui présente le sosie en un dialogue long et quasi immobile, le tout sur fond gris. Mais si l’on est attentif, ces paroles lancent le programme du film : qu’est-ce qu’une crapule ? Qu’est-ce qu’un meurtrier ? Qui est l’imposteur ? Ce début sonne aussi comme une interrogation personnelle, celle de la quête d’identité, comme si Kurosawa se demandait ou nous demandait si lui-même n’était pas un imposteur, un falsificateur du cinéma. Suivre le chemin de croix du sosie, son questionnement sur le devoir et l’honneur, résonne bien comme la traduction magistrale d’une angoisse profonde.
- © Splendor Films
Après le générique, la « déception » continue : un magnifique travelling suit un messager qui sur son passage réveille des soldats colorés ; c’est la résurrection de l’épopée, ou celle du maître du genre. Mais ce plan qui semblait appeler le bruit et la fureur se poursuit par des discussions, des récits. Nous sommes au théâtre, dans l’intime, comme si le cinéaste nous frustrait consciemment de notre goût du spectacle. Et cette frustration se poursuit méticuleusement en des séquences longues et farcies de détails : voir par exemple ces balayeurs qui aplanissent le sol avant l’arrivée du sosie ; mais aussi par un jeu sur le point de vue : l’urne qui contient le corps de Shigen est jetée dans un lac, mais le brouillard nous empêche (et empêche les espions) de voir l’action. Kurosawa va jusqu’à expédier une bataille en plans larges, qui mêlent fumée et corps indistincts. Et le combat final, cruel et pathétique, en grande partie hors-champ, sonne comme une délivrance, celle du spectateur, celle aussi du cinéaste, qui donne la pleine mesure de son talent après des interrogations et des doutes. Kagemusha ressemble ainsi à une purge, celle de ses démons intérieurs, qui lui permettra de réaliser ensuite Ran, point d’orgue et adieu au film historique et épique.
- © Splendor Films
L’intelligence du récit se double d’une quête passionnante, celle du sosie qui découvre l’honneur et la rédemption. Le thème du double se croise à ceux du pouvoir et des apparences, et chaque séquence est une station d’un chemin de croix suicidaire : les rencontres avec le petit-fils, avec les maîtresses, et avec le cheval indompté, annoncées plusieurs fois et préparées par une première chute, entretiennent un savant suspense qui enserre le sosie dans un piège inextricable, que la scène du cauchemar matérialise en un délire coloré. Souterrainement travaillé par la mélancolie, Kagemusha comporte peut-être aussi en creux une interrogation sur l’identité japonaise du réalisateur : la musique hollywoodienne, l’introduction du vin occidental ou l’image des prêtres, le bannissement surtout, avec jets de pierres, contribuent à composer une geste masochiste et purificatrice.
- © Splendor Films
Évidemment, chez un cinéaste comme Kurosawa, la dimension esthétique ne peut être évacuée. L’inventivité est ici constante : à un plan sur-signifiant, celui de l’ombre qui gagne le plafond sur le passage du sosie, répond un autre incongru, par exemple celui de la bénédiction des soldats. À des extérieurs géométriques et quasi abstraits, s’oppose un luxe de détails des plus concrets, voire triviaux. Dans le choix des couleurs qui vont jusqu’à l’ irréel, dans la composition des plans (voir en particulier la scénographie des intérieurs), dans l’alternance de séquences très colorées et de plans austères, le réalisateur impose une noblesse et une grandeur solennelle qui s’accordent aux nombreux dialogues shakespeariens (mais on pourrait tout aussi bien valoriser le silence, ou l’utilisation parcimonieuse de la musique, orientale et occidentale, ou la richesse du bruitage) pour faire de Kagemusha l’un des sommets d’une œuvre majeure.
– Palme d’Or au festival de Cannes 1980, César du meilleur film étranger 1981
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