Le 19 avril 2024
La transposition d’une tragédie majeure devient le récit implacable d’une fureur intérieure aussi belle que terrible.
- Réalisateur : Akira Kurosawa
- Acteurs : Takashi Shimura, Toshirō Mifune, Gen Shimizu, Minoru Chiaki, Isuzu Yamada, Yoshio Tsuchiya , Kichijirō Ueda, Chieko Naniwa, Eiko Miyoshi, Akira Kubo
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Carlotta Films
- Durée : 1h51mn
- Reprise: 17 avril 2019
- Date de sortie : 27 avril 1966
- Festival : Festival de Cannes 1957
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– Année de production : 1957
Critique : Le film de Kurosawa s’ouvre sur un blanc létal qui, en se dissipant, révèle un poteau élevé à la mémoire du château qui donne son nom au film. À la fin, ce même poteau se recouvre peu à peu de brume, au son du chant lugubre entendu au début. Comme un poème, cette tragédie de fureur et de sang s’achève par où elle commence, en un sinistre cycle éternel. Dès les premières images, tout est consommé : l’histoire a déjà eu lieu, le destin a fait son œuvre, il a détruit le château et tous les misérables qui y ont vécu ; car, et c’est ce que dit le chant, ce que dit le fantôme, les humains sont les jouets dérisoires d’une fatalité ironique qui se joue d’eux.
Macbeth, donc. Transposé dans un Japon médiéval sans date explicite mais qui évoque aussi bien ce lointain passé que l’après-guerre contemporaine du film, cette après-guerre qui n’en finit pas de réfléchir sur la culpabilité. On pourrait s’attendre dès lors à des batailles grandioses, des cavalcades épiques ; mais le cinéaste respecte l’origine théâtrale en privilégiant le récit (celui des messagers ou des serviteurs qui commentent l’action) ou l’ellipse : ainsi la mort du suzerain ou celle de Miki, l’ami trahi, sont-elles hors champ. Là où la fureur des armes était attendue, c’est une tragédie intime qui se noue avec l’arrivisme cruel de Macbeth-Washizu. Sa femme, son âme damnée, le conduit à éliminer tous ceux qui peuvent lui barrer la route du pouvoir, en jouant à son avantage des prédictions d’un esprit. Elle l’entraîne dans l’engrenage de la violence folle et finit folle, comme son époux qui attaque des fantômes à l’arme blanche.
Ce refus du spectaculaire se retrouve dans les décors rongés d’un brouillard éternel, et en particulier dans le château de l’Araignée ; rien d’aussi peu flamboyant que cette bâtisse abstraite, amas de bois qui dessine sans cesse des lignes horizontales et verticales et enferme les personnages au propre comme au figuré. L’utilisation du cadre participe de cet emprisonnement : c’est lui qui borne la chevauchée dans la brume de Miki et Washizu. De même, la forêt labyrinthique est-elle résumée par un premier plan de branches enlacées qui disent assez leur situation inextricable.
Sans être statique, la caméra de Kurosawa, renforcée par la longueur des plans, figure l’enlisement des personnages. Hagard comme Washizu ou hiératique comme sa femme, ils bougent peu, à la manière du théâtre nô. Et si, quand Washizu harangue sa troupe, le cinéaste joue classiquement de la contre-plongée, il préfère la plupart du temps des effets moins visibles, et surtout une composition très équilibrée, avec une recherche permanente de la symétrie, qui s’oppose à la folie sanguinaire du personnage ; comme si Kurosawa représentait un monde serein voire méprisant ou ironique dans lequel se débat un homme rongé par un mal intérieur.
À travers un réseau serré de correspondances (les deux harangues, les deux complots de la femme, les commentaires des serviteurs en ouverture d’une séquence, entre autres), Kurosawa fait de son film un engrenage terrible qui parle de folie et de cupidité, de pouvoir et d’instinct de mort, sans l’emphase de Shakespeare mais avec des dialogues aussi riches que signifiants. La beauté plastique, la recherche scénographique, qui trouveront d’évidents échos dans Ran, font de cette œuvre forte un poème tragique, dans lequel un maître au sommet de son art examine sans pitié la condition humaine.
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