Le 19 avril 2024
Chef-d’œuvre incandescent et virtuose, Ran n’a rien perdu de sa force ni de sa grandeur.
- Réalisateur : Akira Kurosawa
- Acteurs : Tatsuya Nakadai, Akira Terao, Jinpachi Nezu, Daisuke Ryū, Takeshi Katō, Hisashi Igawa
- Genre : Drame, Action, Historique
- Distributeur : Les Acacias
- Durée : 2h40mn
- Reprise: 6 avril 2016
- Date de sortie : 20 septembre 1985
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Résumé : Hidetora Ichimonji est un seigneur tout-puissant dans le Japon du XVIe siècle. Ses trois fils, confrontés au problème du partage de ses terres, vont se déchirer dans une impitoyable querelle de pouvoir...
Critique : Certes, après Ran, Kurosawa tournera encore trois films (Rêves, Rhapsodie en août et Madadayo), mais plus jamais il ne retrouvera ce sens inouï de l’épopée esthétique, cet élan créatif qui le fait se confronter à Shakespeare, cette violence désabusée. Ran demeure un chant singulier, porté par un souffle rare. Un poème. Un chef-d’œuvre. On le sent, on le renifle dès le début, avec cette chasse au sanglier, dont, l’a-t-on remarqué, on ne voit que les prémices : si le vieux guerrier bande son arc, c’est le récit des autres qui précise qu’il a tué la bête. C’est que, déjà, il est passé de l’autre côté : sa gloire est désormais du domaine du discours, encore note-t-il que c’était un vieil animal, un pair en quelque sorte. S’il l’a tué, s’il plaisante encore, il ne va pas tarder à s’endormir au milieu des siens, ses trois fils et ses amis, rangés symétriquement en une scénographie très composée. Que lui reste-t-il à faire ? Abdiquer, partager son royaume. Ce vieux Lear japonais, en s’endormant, meurt symboliquement. Et de ce sommeil (n’a-t-il pas à certains passages tout du zombi ?) naît la violence fratricide qui va emplir le film, le nourrir d’images et de bruits en une cascade de batailles autant réelles que métaphoriques. On est entré dans le chaos (c’est la traduction du titre), aussi bien mental que physique, celui des tempêtes dans les crânes hugoliennes et celui d’une époque qui change : contrairement à ce que croit le père, trois flèches peuvent être aussi bien brisées qu’une.
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Ran est aussi la réflexion d’un vieux maître sur la vieillesse ; n’oublions pas les déboires financiers et moraux de Kurosawa (échec de Dodes Ka-den suivi d’une tentative de suicide, difficultés à trouver l’argent pour les films suivants, impossibilité de tourner à Hollywood) qui résonnent dans ce film et lui donnent une « pâte » humaine nouvelle. La vieillesse, ce n’est pas seulement la diminution physique et mentale, c’est aussi une abdication et une solitude. En n’étant plus craint, le père devient fragile et à la merci de ses fils dont l’hypocrisie éclate très tôt. Seul le fou lui reste fidèle en lui tendant un miroir cruel. Conte de folie et de mort, Ran enchaîne les cadavres en une vision sanglante dans laquelle un acte a des conséquences funestes et aboutit à une gigantesque autodestruction. Dans cette monstruosité les femmes ne sont pas épargnées : comme dans Le château de l’araignée et Kagemusha, elles sont de mauvais génies avides et corrupteurs et contribuent à ruiner les familles. Néanmoins, tout n’est pas aussi simple : si sa belle-fille en veut à Hidetora, c’est qu’il a massacré sa famille. Dès lors, en même temps qu’une sombre histoire de cupidité, Ran devient une méditation sur la culpabilité et la vengeance. Kurosawa, comme pour une œuvre testamentaire, brasse large : les thèmes s’entrecroisent en un écheveau complexe dont chaque séquence esquisse un trait que d’autres renforcent. La construction du récit, implacable, est en fait une destruction méthodique ; Hidetora y est privé de tout, renvoyé à sa folie, spectre dans un monde désolé de terre noire.
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De ce chant désespéré, le cinéaste japonais fait un film grandiose, opératique, dont chaque plan est en lui-même une réflexion : il compose par la lumière, les couleurs et les cadres un drame somptueux peuplé d’oppositions et de parallèles (il n’est que de citer le rôle des portes dont les ouvertures et fermetures rythment l’œuvre en même temps qu’elles se chargent de significations diverses). Entre cent autres, la bataille dans laquelle Hidetora perd sa garde est d’anthologie : non seulement par la barbarie de ce qu’on y voit (les cadavres percés de flèches, les suicides), mais aussi par le choix de couper les bruits furieux pour laisser planer une musique funèbre qui participe du cauchemar.
Sans doute Kurosawa a-t-il déjà auparavant magnifié sa vision amère des hommes ; sans doute a-t-on déjà vu éclater son sens du cadre et de la scénographie. Mais, par sa richesse et sa puissance, Ran est un sommet indépassable, une sorte d’aboutissement de sa carrière. Passé ce film, il se tournera vers des projets plus intimistes, moins grandioses et moins désespérés. En quelque sorte, avec ce projet démesuré, tout est dit, et de belle manière.
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