Delivery room

Depuis plusieurs années déjà, The Leaf Label a opéré un virage salvateur mais risqué. Ayant ses racines dans la musique électronique, le label a osé se tourner vers la composition contemporaine et le jazz, au grand dam de ses collègues anglais, pour lesquels il se drappe désormais d’un voile de "pomposité" impardonnable. Ce choix provient pourtant d’une évolution logique et saine, portée tout d’abord par un attrait pour les mélanges, et notamment ceux mêlant musique populaire et musique "d’initiés" (ils sont par exemple allés dégotter Murcof au Mexique, lui qui produit une musique électronique à partir de samples provenant du répertoire classique). Aujourd’hui, le label peut se targuer de posséder un catalogue riche et varié, et propose, outre cette compilation, plusieurs nouvelles sorties alléchantes.

Rob Ellis présente par exemple la deuxième édition de ses Music for the home, recueil de pièces pour piano allant de la mélodie délicate pour piano solo à la création de polyphonies bruitistes. Le batteur et producteur de PJ Harvey dévoile ainsi à ceux qui osent le suivre une facette insoupçonnée de sa très large palette musicale.

Bill Wells fait lui dans le jazz épars teinté d’électronique, proposant à travers le mini-album Pick up sticks une rencontre à quatre avec les participations de Stefan Schneider (To Rococo Rot, Mapstation), Barbara Morgenstern et surtout du trombone gracile d’Annie Whitehead. Tout au long des huit morceaux, le quatuor réussit à faire oublier à l’auditeur les étiquettes (est-ce du jazz ? de l’impro ? de l’électro ?), pour mieux le concentrer sur les frémissements d’une musique qui se nourrit autant de ses instruments que du silence.

Moins convaincant car plus "électroniquement traditionnel", le nouvel album du duo américain Icarus s’inscrit dans la lignée bucolique d’un Manitoba ou d’un Four Tet (qui se dit d’ailleurs grand fan du groupe). Mais hélas les carences d’écriture donnent vite l’impression qu’Icarus ne vole qu’à travers l’agencement de ses samples et de rythmiques inspirées d’une lointaine drum’n’bass. Mieux vaut peut-être attendre les imminents nouveaux albums de Murcof (remixes et raretés) et du nouveau venu A Hack And A Hacksaw, bricoleur d’une pop électro-acoustique qui devrait s’épanouir sur la longueur d’un grand format.

Delivery room nous rappelle aussi à travers des titres de Asa Chang & Junray, 310 ou Manitoba, que Leaf a jalonné de sa présence la récente évolution de la musique électronique vers l’acoustique, lui rendant ainsi sa part d’humanité et de surprises à travers la promotion d’artistes exploitant allègrement machines, improvisations et erreurs humaines.