Sous le fanal
Le 28 janvier 2015
Grand retour en salles de Vecchiali dont le cinéma n’a rien perdu de sa rugosité vivifiante et dialectique, de son goût des audaces sans filet et des ruptures, avec cette adaptation à la fois minimaliste et subtilement retorse de la nouvelle de Dostoïevsky filmée dans le Var. Le duo d’acteurs est magnifique.
- Réalisateur : Paul Vecchiali
- Acteurs : Paul Vecchiali, Pascal Cervo, Astrid Adverbe, Geneviève Montaigu
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Durée : 1h34mn
- Date de sortie : 28 janvier 2015
- Plus d'informations : www.shellac-altern.org
L'a vu
Veut le voir
– Image Philippe Bottiglione
– Musique Catherine Vincent
– Producteur Paul Vecchiali - Production Dialectik
Grand retour en salles de Vecchiali dont le cinéma n’a rien perdu de sa rugosité vivifiante et dialectique, de son goût des audaces sans filet et des ruptures, avec cette adaptation à la fois minimaliste et subtilement retorse de la nouvelle de Dostoïevsky filmée dans le Var. Le duo d’acteurs est magnifique.
L’argument : Un noctambule se promène chaque nuit sur la jetée du port où il passe une année sabbatique. Là, il rencontre une jeune femme qui attend l’homme de sa vie. Pendant quatre nuits, aussi réelles que fantasmées, ils vont discourir sur la vie et lui tombe petit à petit amoureux d’elle. Mais l’amant attendu finit par arriver…
Notre avis : Depuis son retour au cinéma avec A vot’bon coeur (2003, sorti en 2005), Paul Vecchiali a tourné une dizaine de films (Les gens d’en bas) qui, produits en marge de l’industrie, n’ont pas connu de diffusion en salles.
On se réjouit donc que Shellac ait pris l’initiative de distribuer ces Nuits blanches sur la jetée qui furent un des moments forts du dernier Festival de Locarno et de ressortir parallèlement huit films majeurs du cinéaste (Partie 1, le 11 février 2015, les années 70 : L’étrangleur, Femmes, femmes, Change pas de main et Corps à coeur).
En adaptant à son tour la nouvelle Les Nuits Blanches (Souvenir d’un rêveur) de Dostoïevski (1848) , et en la transposant sur la jetée du port varois de Sainte Maxime, Vecchiali se démarque évidemment de la version récente de James Gray (Two lovers, 2008) mais aussi de celles de Visconti (1957) et de Bresson (Quatre nuits d’un rêveur, 1971), auxquels il prend cependant soin de rendre hommage au générique, ainsi qu’à Maria Schell, Natalia/Nastenka des Notti bianche, et à Danielle Darrieux, à qui Ophuls, pour Madame de... avait demandé de jouer à la fois dans la présence et dans l’absence.
- Nuits blanches sur la jetée - Vecchiali 2014 (c) shellac
Vecchiali a donc demandé à l’acteur Pascal Cervo de voir le film d’Ophuls pour qu’en interprétant le rôle de Fédor (puisque le protagoniste, anonyme dans le texte d’origine, a ici un prénom, celui de l’écrivain) il soit à la fois ici et ailleurs, qu’il soit ce rêveur du sous-titre de la nouvelle, ou, comme le déclare son personnage, rien qu’un être en désaccord.
Cervo parvient à répondre totalement à ce souhait du cinéaste. Il est sans cesse surprenant, avec sa gaucherie émouvante, son air de grand enfant à la fois désarmé (Je suis innocent !) et torturé (Je suis méchant avec moi-même, dit-il dans le prologue, emprunté aux Carnets du sous-sol), ses yeux équarquillés lorsque, jeté hors du cadre, il regarde danser cette femme qu’il s’acharne à faire surgir de la nuit avec une obstination un brin masochiste pour être plus sûr de la perdre définitivement (après avoir déjà, dans un moment de relâchement de l’effort, laissé le bruit de la mer couvrir sa voix puis l’avoir fait revenir de toutes ses forces).
Astrid Adverbe confère à cette femme-fantasme imprévisible une présence sans cesse changeante, tantôt spectrale, tantôt presque criarde (le nez rouge sur le masque blafard), par moments irritante, ailleurs bouleversante (notamment dans son long solo dansé ou lorsqu’elle déclare, le visage en très gros plan, les yeux brillants : Je viens de naître).
- Nuits blanches sur la jetée - Vecchiali 2014 (c) shellac
C’est le dispositif à la fois rigoureux et souple mis en place par Vecchiali, sa mise en scène à première vue sommaire, minimaliste, et finalement très subtile qui permet à ses acteurs d’atteindre à l’écran une telle intensité de présence.
Car on retrouve ici avec ravissement ce qui a toujours fait le prix et la singularité de son cinéma : cette manière très frontale, frondeuse, de filmer (le film est le N°10 d’une série intitulée de façon polémique Antidogma), en prenant même le risque parfois d’une apparente maladresse ou d’une forme de naïveté quasi militante, le refus du soi-disant naturel (le texte est le plus souvent délibérément littéraire, précieux même), ce goût de ce que lui-même appelle la dialectique et qui est aussi goût de la rupture brusque et du retournement : plusieurs minutes de plan séquence à cadre fixe, puis le choc du face à face en champ-contrechamp ; le jeu incessant sur la distance, du trop loin au très près, sur l’ouverture (plans larges avec le personnages debout devant la mer) et la fermeture (l’espace resserré lorsqu’ils sont assis sur les marches), l’immobilité et le mouvement soudain (la caméra qui recule en précédant l’avancée des personnages) ; l’irruption de la musique lorsque Pascal Cervo entonne l’air de Nadir des Pêcheurs de perles, grand moment assez inouï de mise en péril de l’acteur et du film, ou lorsque deux chansons aux orchestrations très années 70 prennent possession de l’espace comme on prend le dessus (la séquence de la danse et le final) après que les lueurs du fanal aient cédé brusquement la place à la lumière aveuglante des projecteurs.
Ces ruptures et ces audaces volontiers casse-gueule sont autant de propositions, provocations, adressées à un spectateur à qui on ne cherche pas à en imposer mais avec lequel s’instaure un dialogue qui est à mille lieux de l’immersion aveuglée.
Pas de larmes ! donc, non, mais un va-et-vient dialectique (oui) entre humour (Vous galéjez !) et émotion, entre amertume désenchantée (J’ai appris à faire du mal ; la mer n’a pas besoin de vous, elle a assez de noyés et de sacs de plastique) et émerveillement.
La rugosité vivifiante de ce cinéma là nous manquait !
- Nuits blanches sur la jetée - Vecchiali 2014 (c) shellac
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.