Racine au fluor
Le 19 janvier 2023
Ludique et vertigineux, le film de Vecchiali navigue sur la crête où l’impudeur devient pudeur et enthousiasma Pasolini.
- Réalisateur : Paul Vecchiali
- Acteurs : Michel Duchaussoy, Hélène Surgère, Sonia Saviange, Marcel Gassouk, Liza Braconnier , Michel Delahaye, Noël Simsolo
- Genre : Comédie dramatique, Noir et blanc, Film culte
- Nationalité : Français
- Distributeur : Shellac, Lusofrance
- Durée : 2h02mn
- Reprise: 22 novembre 2023
- Date de sortie : 27 novembre 1974
- Festival : Festival de Cannes 1974
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– Reprise en version restaurée : 22 novembre 2023
Résumé : Pour une comédienne, jouer s’avère une nécessité, même si l’on sait pertinemment que la gloire ne viendra plus. Elles sont deux, Hélène et Sonia, à partager le même appartement et les mêmes rêves. Pourtant, Hélène a renoncé au métier : tandis que Sonia court le cachet (un minable récital poétique de province ou un bout de rôle dans une dramatique télévisée), Hélène reste enfermée entre ses quatre murs où trônent les photos de vedettes illustres découpées dans « Cinémonde » ou « Ciné-Miroir », en compagnie de bouteilles d’alcool. Entourées d’un petit monde farfelu ou malheureux, les deux femmes entretiennent entre elles des rapports de complicité parfois haineuse où le théâtre a toujours sa part, chacune étant le public de sa partenaire....
Critique : Accueilli avec enthousiasme à la Biennale de Venise de 1974 et ardemment défendu par Pasolini qui s’empressa de proposer à Vecchiali un projet commun (Gilles de Rais, non réalisé) et engagera Hélène Surgère et Sonia Saviange pour Salò où elles rejouent à l’identique la scène des clowns, Femmes femmes a très vite acquis un discret statut de film culte, pas très éloigné de celui de La maman et la putain, sorti quelques mois plus tôt.
Les deux films ont d’ailleurs plus d’un point commun : le noir et blanc surexposé qui, paradoxalement, accentue à la fois l’intensité épurée (PPP évoquait justement Dreyer) et le réalisme sordide ; une forme de claustrophobie ludique qui, malgré les quelques scènes se déroulant dans la cage d’escalier, chez un voisin d’immeuble ou dans un café, n’est véritablement rompue que vers la fin, lors de la rocambolesque sortie dans la rue (Sonia en robe de mariée, une bouteille à la main ; Hélène coursée par une épicière pour vol à l’étalage ; l’irruption de l’agent de police : Elle est où la caméra ?).
- Hélène Surgère et Sonia Saviange dans "Femmes femmes"
- © 2023 Shellac Distribution. Tous droits réservés.
Mais cet appartement avec vue sur le cimetière Montparnasse, avec son aile Sonia (la tragédienne manquée, déclamant Racine voilée de noir) et son aile Hélène (la soubrette sur le retour, jouant à la petite fille en tablier à fleurs et en robe courte) qui très vite se confondent, est en fait un monde (avec chants d’oiseaux ou ronronnement de la caméra en fond sonore) où, sous les regards d’innombrables actrices du passé épinglées sur les murs, se disputent, s’intervertissent, se mélangent en un va-et-vient permanent le faux et le vrai, l’artifice et le terre à terre, le dérisoire et le sublime, car comme le dit Hélène : Tout est vrai !. (Schroeter ou Schmid ne sont pas très loin non plus).
- Sonia Saviange et Hélène Surgère dans "Femmes femmes"
- © 2023 Shellac Distribution. Tous droits réservés.
Les dialogues qui alignent jeux de mots désarmants (C’est mon argent Monsieur l’argent !) et blagues perfides à deux sous (Que lui as tu dit ? - Rien. Que tu étais morte ! ; le client du café à Sonia qui passe à la télé dans une dramatique : C’est une rediffusion ? ; Hélène à Sonia revenant avant la fin : Tu étais si mauvaises ?), le caractère délibérément loufoque de la plupart des scènes (Delahaye en médecin, s’allongeant sur le palier tête en bas pour faire passer son hoquet ; Duchaussoy, le n° 270 des petites annonces, débarquant dans l’appartement et finissant poignardé), les nombreux clins d’œil aux formes désuètes du cinéma (fermetures à l’iris ; faux happy end) donnent à l’ensemble un irrésistible côté ludique, mais le film navigue sans cesse sur la crête, la limite où, comme le dit Vecchiali*, l’impudeur devient pudeur, où on peut basculer dans une autre dimension (l’apparition du lézard et des chauve-souris) et où l’émotion est à la fois exacerbée et tenue à distance par les chansons.
Car Vecchiali, avec son audace frondeuse et tranquille, n’hésite pas à faire soudain chanter ses personnages, sans filet et avec une justesse le plus souvent approximative. Ces moments où l’artifice atteint son degré suprême sont aussi ceux où le film devient le plus vertigineux.
* dans l’entretien avec Emmanuel Vernières figurant en bonus sur l’édition DVD publiée en 2009 par La vie est belle.
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