Période broussailles et période oiseaux
Le 1er mars 2025
Savoureuse satire du milieu de la critique d’art, ce deuxième long-métrage de Biette est mystérieux à force de déroutante évidence.


- Réalisateur : Jean-Claude Biette
- Acteurs : Howard Vernon, Laura Betti, Jean-Christophe Bouvet, Sonia Saviange, Michel Delahaye, Paulette Bouvet, Noël Simsolo
- Genre : Comédie
- Distributeur : Hors Champ
- Durée : 1h20mn
- Date de sortie : 27 janvier 1982

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Résumé : Un jeune critique d’art parisien se voit offrir la possibilité d’écrire dans une revue prestigieuse à condition de servir de "nègre" a un autre critique fort célèbre. Christian a pour première tâche de savoir pourquoi le peintre René Dimanche s’est arrêté de peindre pendant huit ans.
Critique : Après le confort relatif dont il avait disposé pour son premier long métrage Le théâtre des matières, c’était pour ainsi dire en contrebande et sans budget préalable que Jean-Claude Biette tournait en 1980/81 ce Loin de Manhattan dont le titre annonce une dimension provocatrice et polémique (loin du consensus critique et public autour du film de Woody Allen) qu’il faut prendre comme une boutade sérieuse.
La satire du milieu intellectuel de la critique d’art est joyeusement caustique : rivalités d’écoles, luttes d’influence et basses intrigues autour d’un Beaubourg qui fait figure de Graal magique. Mais Biette se méfie de la connivence facile avec le spectateur sur le dos de personnages à l’assurance souvent ridicule mais vulnérables et nullement aveugles aux failles que peut révéler leur discours exposé au malentendus (au sens propre) et chausse-trappes dont se nourrissent les savoureux dialogues biettiens regorgeant d’inventions verbales débarrassées de l’obsession de faire sens à tout prix.
Tous, même les plus immédiatement antipathiques (le sinistre duo Zigfam et Manzik, joués par Jean-Frédéric Ducasse et Françoise Roche) peinent par moments à garder le contrôle de la situation. Mais par la simple durée du plan et une espèce de neutralité du regard, Biette, ne nous concédant pas la joie maligne de regarder de haut cette fragilité soudain mise à jour, nous contamine de ce comique effarement.
Les singularités de chacun de ces acteurs-personnages, en particulier celles de l’élocution que le cinéaste sait faire entendre comme personne, les rend imprévisibles et on remarquera que les figures positives ne sont pas les moins déroutantes : l’Ingrid forte d’être sans défense de la toujours très émouvante Sonia Saviange ou la Papan de l’irrésistible Paulette Bouvet, sans oublier une Laura Betti souveraine qui ne craint pas de citer par deux fois la fameuse phrase de Mae West (Est-ce le plaisir de me voir … ?).
Le film est tourné entièrement en extérieur et l’admirable photo de Mario Barroso saisit la lumière d’immenses ciels parisiens ou celle que renvoient les dunes dans l’ailleurs des échappées en baie de Somme.
Avançant à son habitude par sauts, ignorant superbement les transitions, les articulations du récit, Biette prend le temps d’observer, d’écouter ce qui n’a aucune utilité dramatique (les oiseaux par exemple), et de saisir le temps, celui qu’il fait et celui qui suit la dernière réplique dans des scènes qui ne sont pas bouclées mais restent comme en suspens. Le tout avec une évidence si grande qu’elle en devient mystérieuse.