L’artiste, homme-Dieu
Le 17 septembre 2023
Déroutant, philosophique, surréaliste (au sens premier du terme !), ce premier film réalisé par Cocteau nous plonge dans les fantasmes troubles d’un artiste.
- Réalisateur : Jean Cocteau
- Acteurs : Pauline Carton, Enrique Rivero, Elizabeth Lee Miller, Odette Talazac, Vander Barbette
- Genre : Fantastique, Expérimental, Noir et blanc, Film culte
- Nationalité : Français
- Distributeur : Tamasa Distribution
- Durée : 0h49mn
- Date de sortie : 20 janvier 1932
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Résumé : Les souffrances et obsessions d’un poète qui finit pourtant par atteindre un royaume idéal.
Déroutant, philosophique, surréaliste (au sens premier du terme !), ce premier film réalisé par Cocteau nous plonge dans les fantasmes troubles d’un artiste. Beaucoup resteront à la porte de ce délire expérimental... et passeront à côté de trucages bluffants et d’une réflexion fascinante sur l’Art.
Critique : Jean Cocteau, l’un des plus grands poètes français du XXe siècle, derrière la caméra ? D’aucuns évoqueront d’abord son sublime La Belle et la Bête ou sa relecture contemporaine du mythe d’Orphée. Mais avant ces adaptations, qui firent entrer Jean Marais dans la légende du 7e Art, Cocteau avait déjà réalisé un long-métrage encore plus personnel : Le Sang d’un poète. Aidé par le financement de l’aristocrate et mécène Charles de Noailles, grand défenseur d’un cinéma surréaliste peu commercial (c’est aussi à lui qu’on doit l’existence de certains films de Buñuel, tels L’Âge d’Or qui n’auraient peut-être jamais vu le jour sans son aval), Cocteau a toute liberté créatrice et s’attelle à un récit non rationnel, entre rêve et réalité, qui lui permet d’explorer ses thèmes de prédilection : les troubles du désir, la condition de l’artiste, son rapport à sa création, la conscience de la mort. L’un des intérêts du Sang d’un poète est justement qu’il contient en germe de nombreuses figures récurrentes de la filmographie à venir de Cocteau, comme un terreau de toute son œuvre : la traversée du miroir (qu’on retrouvera dans Orphée), les statues vivantes (présentes dans La Belle et la Bête), la bataille de boules de neige fatale (remember Les Enfants terribles)... On y retrouve aussi la fascination du cinéaste-poète pour les grands mythes antiques : Le Sang d’un poète n’est pas sans évoquer la légende magnifique de Pygmalion.
Avec trois bouts de ficelle, une bonne dose d’ambition et deux acteurs hallucinants (Enrique Rivero, au jeu proche de celui des acteurs expressionnistes allemands, et le modèle Lee Miller), Jean Cocteau crée des images chargées d’une poésie naïve mais sombre, révélant le gouffre d’un univers intérieur peuplé de fantasmes : y cohabitent cauchemars, souvenirs d’enfance, pulsions de mort (l’obsession du suicide, les tableaux vivants de massacre à la Goya) et érotisme trouble (la statue androgyne qui prend vie, mi-femme mi-pierre, la bouche humaine imprimée sur la main). Selon Cocteau, l’artiste semble être un homme voué à la souffrance, dépassé par sa création, qui donne tout pour son œuvre, jusqu’à son propre sang... Animé d’autant d’élans créateurs que destructeurs, il ne lui reste qu’une seule échappatoire : sublimer son mal-être grâce à une œuvre qui lui survivra. Malgré le côté bricolé de ses trucages, qui renvoient immanquablement à la magie d’un Méliès (on est tout de même en 1930 !), Cocteau l’apprenti cinéaste révèle un talent graphique quasiment précurseur, multipliant les trucages fantastiques dont se resserviront, après lui, toute une génération de réalisateurs : montage à l’envers, surimpressions, décors renversés, cuts brutaux, intégration de dessins à l’image live. S’éloignant des schémas narratifs classiques, fabriquant des images qui sont autant de visions poétiques, Cocteau utilise le cinéma comme un outil d’exploration de notre inconscient et de nos rêves ; il augure un type de cinéma qui se veut recherche, production du sens toujours renouvelée, instrument de l’imaginaire. Une véritable expérience sensorielle.
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