Mal aperçu
Le 2 juin 2013
Alors que la Cinémathèque Française s’apprête à rendre hommage à Jean-Claude Biette à l’occasion du dixième anniversaire de sa disparition, le livre nécessaire de Pierre Léon arpente l’oeuvre d’un "technicien de cet imaginaire qui donne accès au monde caché des murmures et des ombres".
- Réalisateurs : Pierre Léon - Jean-Claude Biette
- Genre : Cinéma
- Plus d'informations : http://www.capricci.fr/jean-claude-...
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– Parution le 6 juin 2013 (Format 12,2 x 19 cm / 204 pages ; Diffusion
Harmonia Mundi / ISBN 978 2 918040 72 9 ; Prix 18 €)
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vendredi 14 juin à 19h : projection de Biette de Pierre Léon dans le cadre de la Rétrospective Biette à la Cinémathèque Française du 12 au 24 juin
– samedi 15 juin à 14h30 : table ronde, sur « Jean-Claude Biette, cinéaste », suivie d’une signature à 17h30 de l’ouvrage à la librairie de la Cinémathèque par Pierre Léon
Alors que la Cinémathèque Française s’apprête à rendre hommage à Jean-Claude Biette à l’occasion du dixième anniversaire de sa disparition, le livre nécessaire de Pierre Léon arpente l’oeuvre d’un "technicien de cet imaginaire qui donne accès au monde caché des murmures et des ombres".
L’argument : Cinéaste, critique (aux Cahiers du cinéma puis à Trafic), Jean-Claude Biette a réalisé sept longs métrages, du Théâtre des matières (1977) à Saltimbank (2003).
Dans ce livre à la fois érudit et enjoué, Pierre Léon suit, d’un film à l’autre, et pas forcément dans un ordre chronologique, une oeuvre sinueuse, toute de réalisme ironique, qui prit fin prématurément avec la mort du cinéaste en 2003, trois mois avant la sortie de Saltimbank. L’oeuvre d’un cinéaste piéton et fugueur, d’un poète démocrate attaché à décrire un monde mystérieux, traversé de multiples secrets, grands ou petits, gardés par une armée de comploteurs, d’arpenteurs de labyrinthes où tout devient possible : les rêves comme les désastres.
Extrait du livre : Faudrait-il défendre Jean-Claude Biette, cinéaste, qui, par principe, se défend très bien tout seul ? Le problème, c’est que si on énonce, par exemple, que Jean-Claude Biette est 1) un grand cinéaste, ou bien 2) le plus original des cinéastes de sa génération, ou bien 3) le plus grand cinéaste moderne avec Fassbinder, ou bien, etc., les gens exigeront des preuves, et que de preuves, il n’y en a guère. Après tout, faire des films n’est pas un crime, même si on les prémédite. Ou alors, cette preuve, c’est leur “evidence”, pour emprunter le mot à la langue anglaise.
Notre avis : Une rétrospective à la Cinémathèque Française (du 12 au 24 juin), un numéro entier de Trafic, la revue qu’il co-fonda en 1991, et la publication, aux éditions Capricci de ce livre de Pierre Léon permettront à beaucoup, on l’espère, de découvrir l’oeuvre de Jean-Claude Biette, mort le 10 juin 2003 alors que Saltimbank, son septième long-métrage, venait tout juste d’être présenté à Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique.
L’oeuvre déroutante d’un cinéaste réfractaire à la vanité auteuriste comme à l’intimidation du spectateur et que laissait parfaitement indifférent (p. 32) tout ce qui mettait en avant la posture, l’arrogance sociale, le calcul de producteur. Une oeuvre qui a rencontré en son temps un écho critique et public souvent fervent mais trop limité (Pierre Léon rappelle que seul Trois ponts sur la rivière a rapporté de l’argent) et demeure difficilement visible.
- Tournage de Saltimbank (Jean-Claude Biette 2002)
Ce livre est le complément indispensable du film admirable que Pierre Léon a consacré récemment à Jean Claude Biette (et qui sera projeté en sa présence le 14 juin à 19H00 à La Cinémathèque). Organisé en sept chapitres centrés chacun sur un des sept long-métrages du cinéaste et précédés d’une introduction dont le titre est emprunté à Ezra Pound (Ce que tu aimes bien demeure), l’ouvrage n’est ni une biographie (L’auteur respectant la discrétion et le goût du secret qui caractérisaient l’homme et l’oeuvre), ni une étude de type universitaire.
Pierre Léon arpente le territoire biettien en adoptant le point de vue de l’idéal artisan spectateur (p. 20) qu’appellent les films d’un cinéaste que la jaquette qualifie justement de piéton et fugueur, un spectateur auquel le technicien de cet imaginaire qui donne accès au monde caché des murmures et des ombres, se doit de faire découvrir (...) l’ordre né dans le désordre universel et de (...) rappeler sans cesse que sa tâche à lui n’est pas non plus aisée (...).
Guidé par une admiration lucide, il fait apparaître l’architecture non préconçue (le présent inquiet d’un film qui avance) d’une oeuvre qu’il ne tient pas à faire passer pour parfaite (faisant part notamment de ses réserves au sujet de Trois ponts sur la rivière, réussi à moitié) mais qui, comme Hollywood ou comme Le camion de Marguerite Duras, est un moment du cinéma (p. 189).
Cette oeuvre, souligne Pierre Léon, est hantée par les vies antérieures que sont la littérature, le théâtre, la musique, et dialogue avec des figures tutélaires, nullement écrasantes, amies plutôt : Brecht, Defoe (un Robinson Crusoé qui devait être tourné dans le jardin d’acclimatation de Lisbonne fut, de tous les projets non aboutis, le plus cher au coeur de Biette), Fritz Lang, Jacques Tourneur, Pasolini, Arrieta, ou encore des chefs d’orchestre comme Ernest Bour, Hans Rosbaud ou Roger Désormière.
- Sonia Saviange dans Le théâtre des matières ’Jean-Claude Biette 1977)
Evoquant les corpora caeca, corps dissimilés (et aveugles) de Lucrèce (cités dans Le théâtre des matières), Pierre Léon constate que la nature, c’est à dire pour Biette la réalité, ne se laisse pas prendre comme un lapin au collet et que, chez le cinéaste, l’attirance pour le bizarre, l’incongru, l’incomplet, le dérobé, le malentendu et le mal aperçu traduit une soif joyeuse de connaissance, qui ne cherche pas à comprendre ou à révéler des vérités éternelles, mais à montrer, le temps d’un reflet, d’un changement d’axe, d’un regard qui se tourne, que le monde, tout en se corrompant peut-être, recèle des aventures humaines infinies : grandes ou petites.
Il rappelle aussi que Biette se méfiait de l’industrie du script sans pour autant négliger le récit mais considérait les acteurs (les corps conducteurs) comme la matière vivante des films, la vision de Femmes femmes (Paul Vecchiali, 1974) lui ayant fait découvrir que l’espace irréductible entre eux et les personnages qu’ils interprètent est la seule source de fiction, la seule réalité. (p. 22)
Citant Biette lui-même, qui écrivait à propos d’un film de Shirley Clarke : La conclusion n’est pas donnée au spectateur elle est son oeuvre, il met à jour une conception ni humaniste ni romantique d’un cinéma (...) qui ne se vivifie qu’à l’épreuve du regard croisé entre le spectateur et le personnage, regard que le point de vue du cinéaste doit mettre en mouvement sans se substituer à lui.
C’est bien ce regard croisé qui rend si nécessaire la (re)vision des films de Jean-Claude Biette (tout comme de ceux de Pierre Léon) et la lecture, joyeuse et stimulante, de ce livre.
- Jean-Claude Biette, le sens du paradoxe - Pierre Léon -capricci 2013
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