Le 8 avril 2021
En 2001, sur M6, débarque "Loft Story", la première émission de télé-réalité française. Le succès est énorme, la polémique aussi. Depuis, le genre a tenté de muter pour survivre.
Avis : "Trash TV, Orwell, Loana, voyeurisme, piscine, décadence" : on pourrait faire un logo-rallye à partir de l’inflation discursive provoquée par le raz-de-marée Loft Story, l’émission de M6 que pas mal de spectateurs ont adoré vilipender en 2001. A l’époque, certain-e-s ont affecté le surplomb, tout en regardant le divertissement en cachette, d’autres étaient franchement fans et ne s’en cachaient pas, puisqu’on les a vus sur les Champs-Élysées, à la rencontre des candidats, totalement ébahis d’être momentanément devenus aussi célèbres que les Beatles. De leur côté, quelques-uns n’ont jamais entendu parler du programme.
Et puis, une frange de la population française est restée silencieuse, par indifférence ou par mépris. Si des gens mutiques se sentaient plus concernés, voire plus attirés par le phénomène, ils observaient non pas des participants résorbés en "rats de laboratoire", mais plutôt celles et ceux qui se payaient de formules grandiloquentes, dans une réitération suspecte de leur dégoût, rehaussée en discours prophétique sur "l’époque".
Des années plus tard, Blanche Gardin, souvent lucide, a livré ce commentaire : "c’est flippant la télé... On créé des émissions de merde pour que des gens les regardent, tout en se révoltant que de telles merdes existent..."
Mais au-delà de la disqualification morale ou du dithyrambe, c’est peut-être François Bégaudeau qui a le mieux résumé le processus, déplaçant la perspective pour la centrer sur les affects du récepteur. Il y a ces mots, dans un passage spinoziste de son récit Deux singes ou ma vie politique : "le programme Loft Story m’intéresse donc il est intéressant [...] Quelque chose dans le plan excède le scénario, il y a des accidents, des trouées, il y a du réel. [...] Je peste contre les producteurs qui se démènent pour créer des événements, provoquer des crises, fabriquer de l’exception, alors que c’est l’ordinaire qui me scotche".
Deux décennies plus tard, ces imprévus diraient presque la naïveté des premiers candidats, une forme de candeur touchante qui s’incarne dans la figure de Loana, l’anti-Nabilla, soudain devenue star, avant de connaître des années beaucoup plus difficiles jusqu’à aujourd’hui. Elle et ses comparses ont été suffisamment observés par les participants des autres émissions de télé-réalité. Dès la deuxième saison du Loft, on a perçu l’inflexion : chacun-e avait bien étudié l’affaire pour véritablement se construire une identité de personnage. Alors, on a réellement basculé dans la fiction, banalisée comme n’importe quelle franchise sérielle. Et aucune des créations audiovisuelles suivantes, affiliées au genre, n’a plus jamais connu le même engouement que le divertissement matriciel de 2001, issu du Big Brother néerlandais.
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