Le 21 décembre 2024
Ennemi de Spider-Man dans les comic books, Kraven le chasseur fait ses débuts seul dans un blockbuster bâclé et bancal, que même un cinéaste (jadis) talentueux ne parvient à sauver. On touche là le fond du panier du cinéma hollywoodien, et la nourriture y est particulièrement avariée.
- Réalisateur : J.C. Chandor
- Acteurs : Russell Crowe, Alessandro Nivola, Aaron Taylor-Johnson, Christopher Abbott, Levi Miller, Fred Hechinger , Ariana DeBose
- Genre : Fantastique, Action, Film de super-héros, Nanar
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Sony Pictures Releasing France
- Durée : 2h10mn
- Titre original : Kraven the Hunter
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 18 décembre 2024
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Critique : Monsieur chasse ! Georges Feydeau n’a vraisemblablement jamais lu un comic book Marvel et, pourtant, le titre d’une de ses pièces annonce sans ambages le programme de cet énième film de super-héros ; Monsieur Kraven chasse, en effet, et pas n’importe quel gibier : l’humain… Sur le papier, cet antihéros braconnier a connu quelques belles heures de gloire face à son ennemi juré Spider-Man (absent du film pour d’obscures histoires de droit), comme dans l’excellent arc narratif La Dernière chasse de Kraven, traque urbaine dans laquelle Peter Parker apparaissait plus vulnérable que jamais. Mais il serait vain de chercher dans Kraven the Hunter la moindre aspérité, la moindre zone d’ombre qui faisait tout l’intérêt du personnage sur le papier – réduit à un beau gosse musculeux et bien rasé, si ripoliné qu’on le croirait sorti d’une pub pour du parfum. Guère moins difficile est-il de retrouver des vestiges du pur méchant de cinéma qu’est le comte Zaroff – inspiration majeure de Kraven dans les comics – ou du chef-d’œuvre auquel il donna son nom. En 2024, l’antihéros est hélas plus proche d’un croisement entre le docteur Dolittle (pour la camaraderie avec les animaux) et Dolph Lundgren (pour l’accent exotique).
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Dévidé de tout cela, Kraven the Hunter n’est plus qu’un énième blockbuster bâclé et criard, interchangeable avec tous ses congénères, tant sur le plan de l’intrigue (on comprend que le bambin Sergei Kravinoff, futur Kraven, est devenu ce qu’il est à cause d’un père qui coche toutes les cases du Russe tel que Hollywood se l’imagine : rigoriste et pas causant), du « message » mollasson (« Ne faites pas de mal aux animaux », ou quelque chose du genre ?) que dans son esthétique. Une entreprise linéaire, aussi pénible qu’annoncé, au sein de laquelle subsiste toutefois une étrangeté : son réalisateur.
Étonnant, en effet, de voir figurer au générique le nom de J.C. Chandor, talentueux cinéaste néo-classique, jusqu’ici plutôt habitué à labourer son sillon dans les cénacles du cinéma indépendant ou ceux de la série B netflixienne, ici corseté par les ambitions quasi nulles du film de super-héros. Mais, même doté d’un matériau aussi pauvre, Chandor connaît son métier, comme on se le rappelle au détour d’une scène. Voir celle où le beau Sergei, son paternel et son frangin sont attablés dans un cossu restaurant de Londres, à évoquer le temps perdu, les ambitions contrariées, les liens du sang. La scène n’est pas si mal écrite, bien mise en scène et baigne même dans une jolie lumière crépusculaire ; brièvement, on se croirait presque dans Les Promesses de l’ombre, chez Sidney Lumet ou James Gray – deux cinéastes dont J.C. Chandor est un disciple doué. Mais l’illusion ne dure pas : Chandor remet vite et mal l’ouvrage sur le métier et retourne à la pyrotechnie pantouflarde pour lequel il a signé en premier lieu. L’échec patent de Kraven the Hunter – tout comme celui de Mufasa : Le Roi Lion, autre long-métrage chargé en grosses bêtes numérico-poilues confié à un cinéaste indépendant – tient donc, fondamentalement, du rejet de greffe. Un constat partagé par plus d’un spectateur, à en voir les premiers chiffres du film au box-office.
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Peu de chances, en effet, que Kraven astique son fusil dans une séquelle, qui tient d’habitude de la simple formalité ; après les échecs répétés (et mérités) de Morbius et Madame Web, qui évoluaient dans le même « univers partagé », Sony a enfin décidé de raccrocher les crampons pour se concentrer sur les seules aventures de Spider-Man. Exit donc les Sinistres Six, coterie de super-vilains dont Kraven est l’un des fondateurs et dont d’autres membres étaient présentés avant un putatif rassemblement. Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes : il y a dix ans tout rond, alors que l’horizon super-héroïque n’était pas aussi bouché pour les studios et qu’un autre acteur tâtait de la toile d’araignée, Sony rêvait déjà de consacrer un film à ce club de méchants, pour mieux le remiser ensuite. Sans doute Kraven ne nous contredira pas : quand on a le nez dans la cuvette, il vaut mieux la tirer, la chasse.
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