Le 25 août 2020
Prix Pulitzer 2020, Nickel Boys a des accents de Bildungsroman victorien auquel se serait ajoutée une dimension raciale déchirante. Le roman noue les gorges et fait monter les larmes, il bouleverse et s’avère plus que jamais une lecture nécessaire.
- Auteur : Colson Whitehead
- Collection : Terres d’Amérique
- Editeur : Albin Michel
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Charles Recoursé
- Prix : Pulitzer
- Titre original : The Nickel Boys
- Date de sortie : 19 août 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
Résumé : La lutte pour les droits civiques connaît ses premiers soubresauts, la ségrégation oppresse, Martin Luther King prononce ses premiers discours politiques. Elwood observe, impressionné. Il veut en être, au dam de sa grand-mère qui l’élève. Puis, victime d’une malchance comme si souvent les Noirs Américains l’étaient en ces années 1960, il échoue à la Nickel Academy, maison de redressement où le pire guette les pensionnaires. Les liens amicaux permettent de faire face, d’endurer le quotidien, mais le scepticisme des uns et l’idéalisme d’Elwood feront des étincelles...
Critique : Pour Nickel Boys, Colson Whitehead remporte une nouvelle fois le Prix Pulitzer, trois ans après celui reçu pour Underground Railroad. L’auteur replonge dans une période sombre de l’Histoire des Noirs Américains – de l’Histoire des États-Unis. Après l’esclavage, place aux premières années de lutte, aux premiers balbutiements du Civil Rights Movement, dans les années 1960.
Elwood est encore enfant quand s’ouvre le roman. Le garçon est élevé par sa grand-mère. Tous deux vivent à Talahassee en Floride, à Frenchtown, le quartier noir de la ville. La ségrégation oppresse, persécute, humilie, perçue par les yeux d’un gamin curieux, intelligent, à l’inextinguible soif d’apprendre. Celle qui lui sert de mère tente de réfréner les ardeurs qui réchauffent son cœur alors qu’il grandit, regrette de lui avoir acheté le vinyle où est gravé le discours de Martin Luther King de Zion Hill, qu’il ait grandi en se berçant d’espoirs vains et du désir de faire avancer la cause des Noirs.
Fauché en plein vol, sur un malentendu, Elwood est envoyé à la Nickel Academy, maison de redressement pour jeunes délinquants. Sous couvert de leur dispenser une éducation exemplaire et de leur offrir un cadre de vie idyllique le temps de leur peine, cette maison de correction cache des dessous bien sombres – comme le lecteur le comprend à la lecture des premières pages, racontant l’exhumation de dépouilles inconnues de la terre de cette même prison.
Entre amitiés naissantes, craintes, douleur et espoir, Elwood trace son chemin, essaie de lutter par la pensée, se répétant inlassablement les paroles du Révérend et se forçant à comprendre l’agapè, une notion qui lui échappe. Comment aimer inconditionnellement son prochain, tendre l’autre joue, alors que le prochain est justement celui qui assène coup sur coup, qui maltraite, viole, trahit, bat, prive de toute innocence ? Il s’efforce d’être digne de ce message de paix et d’espoir, entouré d’énergumènes tout aussi malchanceux que lui, et moins scrupuleux. Autour d’Elwood, ils sont autant de présences chaleureuses et indispensables à sa survie – Jaimie, l’Hispanique baladé d’un dortoir à l’autre à cause de sa peau café au lait, Desmond le guide des débuts et Turner, le fameux, le cynique, le frère. Les focalisations de ce dernier et d’Elwood se mélangent, chacun apportant leur pierre à la description de la White-House ou maison des horreurs, des dortoirs et des surveillants, du quotidien et des astuces qui le rendent moins éprouvant. Si les deux premiers tiers du livre tendent vers le récit d’apprentissage, fait de peines et de sanctions, d’un quotidien sombre qui rappelle les Bildungsromans victoriens, la dernière partie achève de tomber dans l’obscurité. Elle mêle présent et passé dans une succession d’allers-retours un peu désordonnés qui font malgré tout prendre conscience de la lente avancée des droits civiques, sociaux.
Dans un style simple, épuré et toujours très pudique, Colson Whitehead raconte, dénonce, ouvre de force les yeux de ceux qui détournent le regard. Il s’inspire de faits très réels, d’un institut appelé la Dozier School for Boys, théâtre de la scène de découverte du cimetière clandestin rapportée au début du roman. Nickel Boys, s’il touche dès ses premières lignes, finit par choquer, puis par donner la nausée avant d’achever de nouer les gorges et de faire monter les larmes. Une lecture plus que jamais nécessaire dans le contexte actuel, comme l’a souligné Barack Obama, une lecture coup de poing qui chamboule, ne peut être laissée de côté.
Colson Whitehead - Nickel Boys
Albin Michel
140mm x 205mm
272 pages - 19,90 €
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Des plumes et des livres 15 mai 2021
Nickel Boys - Colson Whitehead - critique du livre
J’ai beaucoup entendu parler de Colson Whitehead lors de la sortie de ce roman, Nickel Boys. J’étais ravie de le découvrir dans la sélection du Prix Audiolib.
Dans Nickel Boys, nous suivons Elwood Curtis, un jeune garçon, bon élève, qui suite à une erreur judiciaire va se retrouver à Nickel qui se veut une école de redressement mais dont les pratiques en sont bien éloignées…
A travers l’histoire d’Elwood, Colson Whitehead nous plonge dans l’Amérique des années 60, en pleine ségrégation et racisme. Cette triste période historique est parfaitement décrite à travers toutes les situations dans lesquels Elwood se trouve confronté. Nickel n’a d’école de redressement que le nom, la seule pédagogie revient à la maltraitance. Tout ce que les jeunes garçons envoyés là-bas retiennent (s’ils en sortent vivants) est le racisme et la violence.
Les différentes scènes de la vie à Nickel sont décrites avec une telle précision que nous les imaginons sans peine, on s’y croirait vraiment ! On ne peut ressortir indemne d’une telle lecture.
La lecture du roman par Stéphane Boucher est parfaite. Le lecteur interprète comme il faut les différents dialogues, pose davantage sa voix pour le narrateur, s’adapte à la dureté du texte. Je n’ai eu aucune difficulté à me plonger aux côtés d’Elwood, bien que certaines scènes soient ancrées en moi, par leur violence et injustice…
Nickel Boys est un roman fort qui ne peut que vous bouleverser.
https://desplumesetdeslivres.wordpress.com/2021/05/15/selection-prix-audiolib-2021-nickel-boys-colson-whitehead/