Les Royaumes de Tiketone T.1 Les reliques des morts vivants - Mélissa Morin - La chronique de Baptiste

Critique : On l’oublie souvent, mais les contes originaux sont faits de traumatismes incandescents, que ce soient des parents décédés ou oublieux, beaux-parents aux tendances homicides ou parabole d’un viol comme Le Petit Chaperon Rouge. Les dernières décennies ont su insuffler de nouvelles histoires plus tranquilles ou un remodelage des anciennes pour les rendre plus attractives ou moins blessantes. Pour les Royaumes de Tiketone, Mélissa Morin a choisi de bousculer, de rendre visible, de faire coexister le réel et le fantastique pour créer un conte moderne, ancré dans la vie et ses injustices, montrant des enfants perdus plus proches des galères d’aujourd’hui que des compagnons de Peter Pan d’autrefois. Thomas a perdu toute sa famille, il est désormais un "weirdo", un super bizarre au cœur d’une bande d’autres bizarres, tous marqués par une enfance difficile, pour ne pas dire insupportable. Depuis son cri libérateur jusqu’à la cinquième quête d’artefact entre vivant et mort (plume, dent...), liant les animaux et les hommes, reliant les enfants et les déliant des adultes, Thomas fait entrer le récit dans un entre-deux mondes où le lecteur se demande jusqu’au bout si tout part de la folie ou tout doit se finir à Tiketone.

© Casterman / Morin

Cette tension dramatique, qui n’est pas seulement provoquée par la disparition de la grande soeur, celle qui doit être retrouvée, mais aussi par les disputes et rivalités entre les orphelins qui veulent se retrouver, affleure aussi dans le dessin. Le style renvoie clairement à un album jeunesse, mais le format, le nombre de pages, certains plans et choix le font basculer dans ce qui pourrait être un roman graphique de l’enfance, de son parcours, de ses difficultés, de ses écueils, à l’instar de grandes autobiographies américaines. Toutefois, la quête initiatique reste l’élément central, et les personnages secondaires, les compagnons d’infortune, de prendre davantage d’épaisseur, à mesure que les prédictions du héros semblent se réaliser. Avec le final onirique haletant, le dessin ne marque pas le pas, au contraire il devient d’un sérieux pétri de suspense, et donne clairement envie de lire le tome 2.

© Casterman / Morin

Premier volume d’un conte qui mêle le réalisme et le fantastique à la manière d’un roman graphique et d’un auteur comme Maupassant, les Royaumes de Tiketone aborde le traumatisme des enfants avec hauteur, force et talent.