Le 17 juin 2025
Ce récit d’un ado écorché qui cherche sa place dans la société est un beau passage de relais entre Laurent Cantet et Robin Campillo. On retrouve l’univers des deux cinéastes tout en découvrant un jeune acteur prometteur.


- Réalisateur : Robin Campillo
- Acteurs : Élodie Bouchez, Pierfrancesco Favino, Eloy Pohu, Maksym Slivinskyi, Nathan Japy
- Genre : Drame, LGBTQIA+, Teen movie
- Nationalité : Français, Italien, Belge
- Distributeur : Ad Vitam
- Durée : 1h42mn
- Date de sortie : 18 juin 2025
- Festival : Festival de Cannes 2025

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– Festival de Cannes 2025 : Quinzaine des Cinéastes, Ouverture
Résumé : Enzo, seize ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.
Critique : Enzo est déjà un film étonnant et émouvant en soi dans le sens où il s’agit du dernier projet de Laurent Cantet, disparu au printemps 2024. Avec l’accord de la famille du cinéaste, Robin Campillo qui en était le coscénariste, a souhaité poursuivre l’aventure du long métrage. Les deux hommes, amis de longue date, avaient également des liens professionnels, Campillo ayant été coauteur mais aussi monteur pour Cantet, en plus de ses propres réalisations. Enzo part d’un canevas que l’on a trouvé maintes fois au cinéma, de L’effrontée au Lycéen, en passant par La tête haute, à savoir le portrait d’un ado en questionnement, plus ou moins déviant, ou en tout cas exprimant un mal-être dans son environnement familial et ses autres groupes primaires. L’apprenti maladroit qui travaille sur un chantier et manque de se faire renvoyer est en fait le fils cadet d’un couple de bourgeois aimants. Tandis que le fils aîné brille dans ses études qui le mèneront au lycée Henry IV, Enzo a décroché scolairement et souhaite s’affirmer dans le travail ouvrier, même si manifestement il n’y montre que peu de dispositions. La mère, ingénieure, accepte la situation, mais le père, professeur d’université, s’accorde mal de ce déclassement intergénérationnel et souhaiterait que le fiston reprenne les bancs du lycée. Mais quand il s’avère que le jeune homme rejette sa classe sociale et qu’il éprouve des sentiments ambigus pour un ouvrier ukrainien trentenaire, la situation se complique.
- © 2025 Les Films de Pierre. Tous droits réservés.
Si Enzo a des stigmates plus rassurantes que les gamins chahuteurs d’Entre les murs, le film le plus célèbre de Cantet, son trouble et désespoir rejoint celui d’autres personnages du cinéaste, comme le (faux) cadre en errance de L’emploi du temps ou l’écrivain d’Arthur Rambo, rattrapé par son passé. Mais la comparaison la plus intéressante est celle concernant Ressources humaines : au fils d’ouvrier effectuant un stage de cadre dans l’entreprise où travaille son père, succède un enfant rejetant le milieu privilégié dans lequel il est né. En même temps, Enzo établit des correspondances avec les longs métrages de Robin Campillo, comme Eastern Boys, la relation entre Enzo et Vlad faisant écho à celle unissant Olivier Rabourdin et son jeune amant. Au-delà de la cohérence avec l’univers de deux cinéastes, avec passage de relais, Enzo est un récit très attachant, bien servi par l’ambiguïté de ses protagonistes. C’est ainsi qu’Enzo rejette sa famille mais accepte le réconfort de sa mère bienveillante et est heureux des succès de son frère. C’est aussi Vlad qui se comporte en adulte responsable rejetant les avances d’un mineur tout en étant protecteur à son égard, ou encore Enzo qui se laisse embrasser par une camarade amoureuse qu’il invite dans sa chambre, tout en caressant plus tard le torse de son collègue endormi. Robin Campillo évite ainsi le piège sentimentaliste et les caractérisations sommaires, ce qui n’empêche pas son film de comporter une véritable touche émotionnelle. Et les auteurs ont trouvé une juste mesure dans le recours au drame ukrainien, qui ne sert ni de prétexte narratif opportuniste, ni de récit parallèle superflu.
- © 2025 Les Films de Pierre. Tous droits réservés.
Formellement, le film est d’un haut niveau, la directrice photo Jeanne Lapoirie utilisant à merveille le cadre lumineux de la ville de La Ciotat, en pleine saison estivale, pour le confronter à la noirceur de certaines situations. Enfin le casting est particulièrement harmonieux, Robin Campillo tient à préciser dans le dossier de presse, concernant son travail avec Laurent Cantet : « On a pu faire ensemble le casting des quatre personnages principaux et ça a été crucial pour le film. Nous avions tous les deux très envie de travailler avec Élodie Bouchez et donc sa présence dans ce rôle de mère à la fois spectatrice et lucide a été tout de suite une évidence pour nous. Pour le père, nous avions pensé à Pierfrancesco Favino mais nous hésitions un peu à cause de la langue. Au fur et à mesure, il s’est imposé aussi car, au-delà de la force de son jeu, il nous paraissait troublant d’avoir un père un peu décalé dans sa propre famille. » Les deux comédiens sont prodigieux, et les non-professionnels s’intègrent avec bonheur au dispositif, comme Maksym Slivinsky, qui joue presque son propre rôle. Mais la découverte du film est véritablement Eloy Pohu dans le rôle-titre, qui crève littéralement l’écran. Le jeune acteur, d’un magnétisme certain, établit une véritable complicité avec la caméra et se présente comme l’une des plus éclatantes révélations masculines de ces dernières années, après Rod Paradot ou les frères Kirscher. Au final, Enzo, qui a fait l’ouverture de la Quinzaine des Cinéastes, est une œuvre hautement recommandable.