Deux Filles Nues - Luz - la chronique BD

Critique : Luz nous avait impressionné dans sa dernière bande dessinée Testosterror qui questionnait de façon drôle et intelligente les injonctions virilistes. Nous attendions donc beaucoup de cette nouvelle histoire… Sans divulgâcher la suite de cette chronique, c’est, pour notre part, une réussite !

L’auteur commence son histoire avec un parti pris graphique qui nous a tout de suite séduit. Nous n’avions encore jamais lu une histoire du point de vue d’un tableau, c’est désormais chose faite ! Ce choix est particulièrement éclairé et met l’accent sur le rôle de témoin, d’observateur de l’Histoire en marche, que prend le lecteur au cours de cette histoire. Le témoin que nous évoquions, c’est ce tableau, Deux filles nues peint par Otto Mueller en 1919.

©Luz, Albin Michel, 2024

Ce peintre tsigane membre du mouvement expressionniste vendra son œuvre à un collectionneur allemand, Ismar Littmann. Cet avocat juif verra son activité arrêtée par la montée de l’antisémitisme et l’arrivée au pouvoir des nazis. Les chapitres « La Nuit » et « La Décision » nous ont particulièrement émus en montrant sans fioritures l’horreur et la haine omniprésente de cette période.

À partir de ce moment, nous sommes les témoins choqués de l’idéologie nazie sur l’art… on ne peut passer sous silence les propos ahurissants de personnages comme Adolf Ziegler ou Wolfgng Willrich. Comme le montre la bibliographie et la chronologie en fin d’ouvrage, Luz a réalisé un véritable travail de recherche afin de fournir un socle historique fiable à son œuvre. Nous avons particulièrement apprécié la postface de Rita Kersting, directrice adjointe du musée Ludwig de Cologne qui prouve encore une fois l’importance du travail fourni par l’auteur.

©Luz, Albin Michel, 2024

Autre élément que nous avons beaucoup apprécié, la présence de certaines figures qui ont participé à la sauvegarde des œuvres spoliés par les nazis, des personnages comme Josef Haubrich qui achètera la toile Deux filles nues, la sauvant de la destruction.

L’histoire de ce tableau à travers le vingtième siècle est assez ahurissante … faite de hasards, plus ou moins heureux, qui auront permis à cette œuvre de survivre aux destructions et autres avanies sans nom dont les œuvres spoliées ont été les victimes. En 2022 quelque 110 000 objets sont encore portés disparus !

Nous ne pouvons passer sous silence les évènements de Charlie Hebdo auxquels l’auteur a échappé de quelques minutes et qui ont, à n’en pas douter, influencé cette histoire. Celle du pouvoir de l’Art comme source de liberté d’expression et de figure de résistance dans nos sociétés. Cette bande dessinée est pour nous un chef d’œuvre que tous·tes devraient lire !