Le 22 avril 2025

- Réalisateur : Pierre Dugowson
- Distributeur : Malavida Films
À l’occasion de la sortie le 7 mai prochain de son film Les femmes et les enfants d’abord, le cinéaste Pierre Dugowson nous a accordé cet entretien.
AVoir-ALire : Pour commencer par le commencement, avez-vous un lien de parenté avec le cinéaste Maurice Dugowson ?
Pierre Dugowson : C’est mon père ! Il a mis en scène quelques films comme Lily, aime-moi et F... comme Fairbanks avec Patrick Dewaere ou encore Sarah. Il a aussi été réalisateur pour des émissions de télévision. Malheureusement, il est mort jeune en 1999 à seulement 61 ans.
AVoir-ALire : Comment êtes-vous venu au cinéma ?
Pierre Dugowson : J ’étais forcément sensibilisé au fait que cela pouvait être un métier. Mais il y a eu un élément déclencheur très précis qui m’a décidé à le faire. À 14 ans, j’ai découvert le film Entracte (un court-métrage de 1924) de René Clair, accompagné d’une musique extrêmement violente d’Erik Satie. Je l’ai vu à la télévision un après-midi et j’ai appris qu’il avait été commandé au peintre et écrivain Francis Picabia pour justement meubler les entractes au cinéma. Ce dernier, dadaïste de renom, a fait appel à René Clair pour le mettre en scène. Cela m’a donc emmené vers le dadaïsme et les arts plastiques en général. Et de plus, la découverte de la musique contemporaine de Satie a bien concurrencé le rock que j’écoutais à l’époque dans ma chambre. Une véritable révélation pour moi ! Si les adultes font cela... Je le ferai aussi. Il faut dire que j’étais déjà totalement sensibilisé au cinéma muet : justement à cause du film de mon père F... comme Fairbanks. On avait à la maison des films avec Douglas Fairbanks en format Super 8. On avait de lui toutes les bobines imaginables telles que Le signe de Zorro de Fred Niblo ou Le voleur de Bagdad de Raoul Walsh. Je me les passais en boucle depuis mes 5 ans. Pour moi, le cinéma c’était ça. Quand j’ai découvert les films en couleur et le parlant, cela m’a beaucoup moins intéressé à l’époque. J’étais très sensible au muet et je le suis encore. Pour en revenir à Entracte, c’est la folie du scénario, la violence de la musique, et la poésie qui se dégageait de l’ensemble qui m’ont complétement sidéré ! Mais attention, certaines versions disponibles sont accompagnées d’une musique qui n’a aucun intérêt et dessert le film, loin de la puissance de la partition originale de Satie. C’était sûr, j’allais faire cela ! Sauf que vers 18 ans, j’ai repoussé l’idée pour ne pas entendre : « tu veux faire comme papa ». Et puis finalement, la vocation a été la plus forte... Alors ! J’ai donc intégré l’École Nationale Supérieure Louis-Lumière, qui à l’époque se situait à Bry-sur-Marne. Cela m’a formé à la technique et au vocabulaire. Ce qui m’a bien aidé pour la suite.
AVoir-ALire : Comment êtes-vous entré dans la profession ?
Pierre Dugowson : J’ai d’abord été assistant caméra, avant de devenir très vite cadreur de télévision. Parfois avec mon père. J’ai notamment travaillé pour l’émission de Bernard Rapp Jamais sans mon livre(1993/1994). C’était particulièrement difficile de filmer caméra à l’épaule des personnes assises qui parlent de livres sans beaucoup bouger. Comme cinq caméras simultanées étaient nécessaires, j’ai beaucoup progressé avec les autres cadreurs.
AVoir-ALire : Vous avez commencé votre carrière par un long métrage Ouvrez le chien (1997, avec tout de même Clovis Cornillac), vous avez poursuivi par des courts. D’habitude, c’est plutôt l’inverse, non ?
Pierre Dugowson : Effectivement, j’ai assez vite lâché la télévision pour réaliser le long métrage Ouvrez le chien. J’ai envoyé au CNC (Centre National du Cinéma et de l’Image Animée) mon scénario qui a reçu l’avance sur recettes et le tournage a pu commencer. Malheureusement, il n’est jamais sorti en salles. J’ai pu le racheter en 2011, et il est sorti en DVD. J’ai pour projet de le restaurer pour le sortir enfin.
C’est après ce tournage que Laure Adler m’a permis de revenir à la télévision. Elle m’a appelé, je ne sais pas pourquoi, pour que je travaille avec elle sur son émission Les grands entretiens du cercle.
Parallèlement, je n’ai jamais vraiment arrêté de tourner, mais des productions que le grand public n’a jamais vues. Il s’agissait de supports institutionnels pour de grandes marques. Je me retrouvais avec de gros budgets pour des séquences de 5 mn. Je me disais toujours qu’avec le même financement, j’aurais largement pu faire un long métrage.
Ensuite, j’ai eu une période rock avec un groupe que j’ai créé, appelé Dunndotta. J’y jouais de tout. Mais je ne chantais pas, j’étais accompagné d’une chanteuse. Cela s’est terminé en 2014.
AVoir-ALire : Et ensuite, retour au cinéma ?
Pierre Dugowson : Parallèlement aux projets de longs métrages que je développais, j’ai commencé à tourner des courts-métrages, qui vont constituer Les femmes et les enfants d’abord, à raison d’un par an à peu près. L’un des longs a vraiment failli se faire. Avec les producteurs, on était à deux doigts de tourner, juste au moment où est arrivé le premier confinement.
AVoir-ALire : Êtes-vous également le scénariste de vos films ?
Pierre Dugowson : Dans mes films, je fais beaucoup de choses : scénario, dialogues, réalisation évidemment, production, pour certains la lumière, la musique toujours, parfois même les décors !
AVoir-Alire : Comment trouvez-vous vos actrices et acteurs, et les enfants ?
Pierre Dugowson : Cela dépend. Ophélia Kolb, par exemple, je ne l’avais jamais vu jouer. Sauf que dans la vie elle a un tel humour : pour moi, c’est le premier signe d’intelligence, j’ai senti qu’elle pouvait tout jouer, de la bourgeoise à la paysanne... Dans mes films, j’ai senti qu’elle était donc capable de tout faire. Quant à Nicole Ferroni, chroniqueuse sur France Inter à l’époque et aujourd’hui animatrice d’une émission de télévision appelée Piquante sur Téva, elle a aussi une sacrée palette à son registre. Avec ces actrices, et tous mes interprètes en général, je peux travailler en réelle confiance. C’est un vrai régal, même si je peux me montrer parfois "exigeant" (ce n’est pas le terme moins poli qui a vraiment été utilisé ! *). Avec leurs talents singuliers, j’essaie de les faire entrer dans le moule que je m’étais imaginé, et qui, grâce à eux, se trouve largement enrichi.
Pour les enfants, pas de casting : ce sont la plupart du temps des enfants d’amis ou de connaissances. C’est marrant parce que les plus petits ont déjà tout oublié des tournages.
AVoir-ALire : Qui a eu l’idée de regrouper ses dix courts en un long ?
Pierre Dugowson : Au huitième court, j’ai eu l’idée d’un long. J’en ai parlé à Anne-Laure Brénéol, la distributrice de Malavida. Elle m’a tout de suite dit oui sur le principe. Cela s’est donc confirmé après le tournage des deux derniers segments. C’est d’ailleurs elle qui a eu l’idée du titre. Ce principe de film à sketches réalisés par le même auteur est plutôt rare. Je n’ai en tête pour les plus récents que Les nouveaux sauvages de l’Argentin Damián Szifrón (2014) ou encore The French Dispatch de Wes Anderson (2021).
AVoir-ALire : Avez-vous déjà assisté à des avant-premières ? Quel a été l’accueil ?
Très peu, mais à chaque fois c’était dingue ! Les spectateurs ont trouvé cela très original et ont montré beaucoup d’enthousiasme. Le côté engagement écologique a également plu. Entre parenthèse, je suis surpris qu’il n’y ait pas davantage de films engagés en France, et je le regrette un peu. J’ai grandi avec les films de Sidney Lumet (**), pour moi le modèle du cinéma engagé qui reste aussi un divertissement.
,AVoir-ALire : Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Pierre Dugowson : Déjà, je vais m’attacher à suivre ce film que je vais accompagner au mieux. Ensuite, en octobre, sortira un documentaire que j’ai tourné, sur la fonte des glaciers en Arctique : Glaciers d’Arctique : état des lieux, réalisé avec la glaciologue Heïdi Sevestre. C’est notre deuxième collaboration après Heïdi’s Ice que j’ai réalisé pour la télévision, et qui a été diffusé sur la Chaîne parlementaire en décembre 2023.
D’autre part, plusieurs de mes scénarios de longs métrages de fiction sont prêts et n’attendent que leurs producteurs.
La photographie noir et blanc provient du tournage de l’un des courts-métrages Supermarket. Pierre Dugowson est au côté de l’actrice Géraldine Martineau (Copyright Cosmonaut 391).
* Note du rédacteur
** Sidney Lumet, cinéaste américain (1924-2011), réalisateur entre autres de Douze hommes en colère (1957), Serpico (1973), Un après-midi de chien (1975) ou encore À bout de course (1988).
Propos recueillis par Fabrice Prieur
Merci à L’ACAP Cinéma des Hauts-de-France à l’origine de cette rencontre, et au personnel du restaurant "Delaville", Paris 10ème, pour sa gentillesse.