Le 19 décembre 2024
- Réalisateur : Matthew Rankin
- Distributeur : Météore Films
Rencontre à Paris avec le cinéaste canadien Matthew Rankin, de passage en France pour présenter son film Une langue universelle.
NOTRE CRITIQUE DE UNE LANGUE UNIVERSELLE
Le cinéaste canadien Matthew Rankin était récemment en France pour accompagner la sortie d’Une langue universelle. Son film, sorti le 18 décembre 2024, a obtenu le prix du Public (Prix Chantal Ackerman) à la Quinzaine des Cinéastes du festival de Cannes 2024, est sélectionné aux Oscars 2025 pour représenter le Canada dans la catégorie Meilleur Film International.
Ce cinéaste cinéphile a volontiers répondu à nos questions avec beaucoup de gentillesse et de bienveillance
AVoir-ALire : Vous êtes allé à Cannes pour présenter votre film en mai. Était-ce votre premier séjour en France ?
Matthew Rankin : Non, j’avais déjà passé beaucoup de temps en France, à titre purement personnel. Mais, en mai à Cannes, c’était la première fois que j’y venais pour présenter un film. C’était très intéressant de participer à la Quinzaine des Cinéastes. Le film a ensuite été repris à Paris dans le cadre du Forum des Images, mais sans que je sois présent. Et en ce moment, c’est donc la première fois que j’accompagne un film pour sa sortie française.
AVoir-ALire : Pouvez-vous nous relater votre parcours de cinéaste jusqu’à ce film ?
Matthew Rankin : J’ai toujours eu une sorte de vocation artistique. Enfant, je dessinais beaucoup, et petit à petit les dessins sont devenus des dessins animés. À partir de là, j’ai commencé à faire des films, de petits documentaires expérimentaux, puis des documentaires un peu plus narratifs, et finalement, je suis arrivé à la fiction. Ayant fait des études d’Histoire à l’université, je m’intéresse beaucoup au rapport entre le réel et le langage cinématographique. J’étais sur le chemin pour être enseignant en Histoire, mais je me suis vite rendu compte que mon intérêt pour ce domaine était davantage artistique que scientifique. J’ai donc pris la décision de me consacrer uniquement à cet aspect, et c’est ce que je fais depuis maintenant une vingtaine d’années. J’ai réalisé une quarantaine de courts métrages, quelques moyens et tout dernièrement deux longs métrages de fiction. Je m’intéresse beaucoup au rapport entre le réel et le récit ou comment la réalité se transforme en langage cinématographique ou historique.
AVoir-ALire : Pour les courts métrages, s’agissait-il de commandes et est ce que vous pouviez en vivre ?
Matthew Rankin : Sur la quarantaine que j’ai réalisé, qui ne sont pas tous répertoriés, une dizaine sont des commandes. Mais ma démarche reste avant tout de faire un travail expérimental et surtout indépendant. J’en vis très péniblement... mais j’arrive à survivre ! C’est toujours comme un jeu de coquille, il faut avoir plusieurs projets en même temps.
AVoir-ALire : Votre précédent film Le vingtième siècle, était-il votre première fiction ?
Matthew Rankin : Non, dans certains de mes courts-métrages, il y avait de la fiction, mais toujours de façon très hybride avec des éléments d’animation notamment. Il faut essayer de trouver le bon format : certaines idées sont faites pour le format court, d’autres pour le long. J’aime maintenir un rapport très harmonieux entre la forme et le contenu. Je veux que la forme rende énergique le contenu et vice-versa. Le vingtième siècle raconte l’histoire d’un ancien Premier ministre du Canada, William Lyon Mackenzie King. C’est une biographie et un film d’époque, mais il joue beaucoup sur l’artificialité du langage cinématographique. Je trouve que le cinéma, en général, est obsédé de façon démesurée par le simulacre. On cherche à éviter tout ce qui est faux pour créer une histoire si crédible, qu’on ne peut pas résister jusqu’à oublier que c’est un film. C’est pour cela qu’une erreur de continuité est une erreur... parce que ça nous fait sortir du film. Si on est confronté à un effet spécial et que l’on voit son artificialité, c’est considéré comme mauvais, parce que cela nous fait sortir du simulacre. Mais pour moi, le simulacre est de moins en moins intéressant comme but, parce qu’en fait, quoi que l’on fasse, cela restera toujours artificiel : c’est toujours une personne qui joue une autre personne, un lieu qui représente un autre lieu, et même parfois le jour qui remplace la nuit.
Cette artificialité là, si on l’accepte, ouvre de nouvelles portes de perception de représentations, d’autres possibilités de mettre la réalité en images. C’est un peu comme pour la peinture : lorsque la photographie a été inventée, on a pu assumer d’explorer d’autres possibilités expressives. Avec le cinéma, je trouve que le simulacre est en train de migrer vers l’intelligence artificielle ou le jeu vidéo entre autres. Je pense que nous sommes à un moment où le cinéma a la capacité de se transformer. C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Le vingtième siècle était un film d’époque qui raconte une histoire vraie dans le passé. C’est un film biographique, mais en même temps très artificiel.
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AVoir-ALire : On en vient à votre nouveau film, Une langue universelle.
Matthew Rankin : C’est un film largement autobiographique avec une part de réalité et une part de mystère. Je pense que cette dualité est toujours très intéressante pour le spectateur. Je dis toujours que Steven Spielberg est le plus grand historien de notre temps. Il a réussi à faire des films si crédibles que le spectateur pense que c’est ce qui s’est vraiment passé : Abraham Lincoln était comme ça, il a vécu ça... et pourtant, c’est toujours une transformation du réel. Ce type de démarche est vraiment ce qui anime mon travail.
La genèse du projet part d’une histoire que m’a raconté ma grand-mère : son frère et elle ont découvert un billet de deux dollars pris dans la glace, ce qui leur a occasionné une aventure dans Winnipeg. J’ai trouvé intéressant ce petit événement se situant pendant la Grande Dépression et le contexte de la pauvreté de l’époque. Et plus tard, j’y ai trouvé une résonance en découvrant les films iraniens du studio "Kanoun" comme Où est la maison de mon ami ? ou Le ballon blanc avec des histoires qui mettent en scène des enfants confrontés à des dilemmes d’adulte. Ce cinéma est toujours très poétique et humaniste. Il y a donc eu pour moi un écho avec l’histoire de ma grand-mère. L’idée était de faire une sorte d’enchevêtrement, comme un diagramme de Venn entre deux langages cinématographiques, qui mélangerait la Nouvelle Vague iranienne, le surréalisme winnipegois et la mélancolie québécoise : tout mettre ensemble pour faire quelque chose de nouveau et d’inédit. Ce qui, avec mes coscénaristes Pirouz Nemati et Ila Firouzabadi a conduit à choisir la langue persane (ou farsi) dans un pays où l’anglais ne reste en fait qu’une langue qui a été imposée. Ce choix s’est confirmé en intégrant dans la distribution des acteurs irano-winnipegois.
AVoir-ALire : Quelles sont vos influences ?
Matthew Rankin : Si j’ai toujours beaucoup apprécié, et me suis inspiré du travail de Wes Anderson, du suédois Roy Andersson ou encore de Elia Suleiman, qui sont pour moi des références, il le faut pas oublier tout ce que nous devons tous à Jacques Tati, Un cinéaste injustement négligé aujourd’hui, que je considère comme un maître du cinéma.
Sinon, j’apprécie aussi beaucoup le travail de deux winnipegois Guy Maddin et John Paskievich, le cinéma iranien en général, plus particulièrement Abbas Kiarostami, et pour la France : Leos Carax, Jean-Pierre Melville et Robert Bresson.
AVoir-ALire : Votre sentiment pour cette nomination aux Oscars 2025 ?
Matthew Rankin : Mes coscénariste et moi-même ne sommes pas des adeptes de la compétition en ce qui concerne les œuvres d’art. Mais, pour un film tout de même expérimental, cette nomination le met forcément plus en lumière et ce ne peut être que positif.
AVoir-ALire : Quels sont vos projets de cinéma ?
Matthew Rankin : Mon prochain film, toujours expérimental, sera un documentaire réalisé à base d’archives. Ça racontera l’histoire d’un mouvement politique réactionnaire "Le Parti Progressiste Conservateur" très présent dans les années 80/90 jusqu’à sa chute en 2003. Il aura pour but d’éclairer notre société actuelle, plus rigide que jamais, plus binaire et également plus communautariste et solitaire. Paradoxalement, malgré les murs de Berlin que l’on construit autour de nous, nous sommes de plus en plus dépendants les uns des autres. Finalement, je m’aperçois que j’explore la même préoccupation à travers tous mes films.
AVoir-ALire : Son titre ?
Matthew Rankin : Pour l’instant, il n’a pas encore de titre.
Propos recueillis par Fabrice Prieur
Merci à Aurélie Dard de l’agence "Rendez-vous" qui a organisé cette rencontre.
Galerie photos
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