Trois filles de la revue
Le 22 décembre 2010
Schroeter règle ses comptes avec l’Allemagne d’Adenauer dans cette revue de cabaret à l’esprit potache. Drôle, poétique et bien plus pertinent que nombre d’oeuvres en apparence plus sérieuses.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Magdalena Montezuma, Carla Aulaulu, Mascha Elm-Rabben, Werner Schroeter
- Genre : Historique, Musical
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h05mn
- Plus d'informations : http://www.centrepompidou.fr/Pompidou
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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Schroeter règle ses comptes avec l’Allemagne d’Adenauer dans cette revue de cabaret à l’esprit potache. Drôle, poétique et bien plus pertinent que nombre d’oeuvres en apparence plus sérieuses.
L’argument : Dans l’Allemagne d’après-guerre, le passé, le présent et les fantasmes de trois femmes qui se produisaient dans des cabarets nazis.
Notre avis : Tourné en à peine quinze jours (du 28 août au 11 septembre 1970), Der Bomberpilot est le film de la première période de Werner Schroeter qui aborde de la manière la plus frontale un sujet politique, en l’occurrence, l’histoire récente de l’Allemagne entre nazisme et américanisation forcenée après 1945.
Le cinéaste se défendit pourtant d’une lecture réductrice, déclarant à Noël Simsolo (Zoom, n° 16, janvier-février 1973) : C’est très proche du précédent, Eika katappa, mais sans le rituel. J’avais les mêmes intentions, mais je voulais faire quelque chose de très comique avec la langue et aussi sincère avec les images. C’est un récit construit sur la logique de l’absurde, mais bien que des gens de gauche le défendent, ce n’est pas un film politique car je suis un individualiste. Je suis tellement individualiste que je ne peux même pas être anarchiste. Cependant ma position est politique car je travaille de façon rigoureuse dans ma limite sans me soucier des modes....
Schroeter, qui se méfiait autant des Nazioperetten du genre Les damnés que du sérieux d’un Syberberg, recourt à la forme d’une joyeuse revue de cabaret pour raconter les aventures de Mascha, Carla et Magdalena arpentant les sentiers de la culture noble et du spectacle trivial dans l’Allemagne nazie et post-nazie.
Que Mascha massacre les Wesendonck Lieder de Wagner lors d’un récital guindé ou gambade nue dans les prés telle une sylphide ; que Magdalena, prof d’art occasionnelle pour cours du soir, analyse avec un sérieux à toute épreuve des photos d’Elizabeth Schwarzkopf que nous ne verrons pas ou se lance dans une danse du serpent ; que Carla, reconvertie en serveuse de salon de thé, caresse amoureusement du regard ses pâtisseries en fredonnant un Wiener Blut dont le weaner (à la viennoise) se transforme inopinément en Werner avant que ne surgisse le cinéaste lui-même, un bouquet à la main, amoureux transi qu’elle retrouvera peu après, mort d’amour, couché tête en bas sur le capot d’une voiture : tout cela n’est pas loin de la blague de potache mais revisite avec une légèreté qui n’exclut pas la pertinence le fond culturel commun de l’Allemagne d’Hitler, d’Adenauer et d’Eisenhower.
Certains gags sont très drôles, comme celui du foyer du théâtre où l’on donne un concert Bruckner (on entend évidemment tout autre chose) et où Mascha et Magdalena marchent de long en large sans voir Carla au fond qui essaie désespérément d’entrer en allant d’une porte vitrée à l’autre. Le principe à l’oeuvre, ici et ailleurs dans le film, est de demander au spectateur d’accepter l’invraisemblable : qu’elles ne la voient ni ne l’entendent, mieux, qu’après lui avoir enfin ouvert elles ne la reconnaissent pas !
D’autres scènes sont réellement troublantes : la confrontation, en champ-contre champ, avec la Frau Obersturmbannführerin (à l’évidence une simple secrétaire de 1970 qui se demande ce qu’elle fait là) ou la visite, filmée comme une bande d’actualités, d’une base américaine par nos grandes prêtresses de l’art qui posent avec des soldats ou les élèves d’une école primaire.
Le pilote du titre n’apparaîtra évidemment jamais dans ce petit film réjouissant et sans prétention dont l’importance, dans l’oeuvre de Schroeter et dans le paysage du cinéma allemand, est pourtant loin d’être négligeable.
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