Epines ensanglantées
Le 12 septembre 2011
Parrainée par Genet et Cocteau, cette célébration de l’amour et de la mort dédiée à Magdalena Montezuma est un des sommets de la filmographie de Schroeter. Renversant de beauté.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Antonio Orlando, Magdalena Montezuma, Mostefa Djadjam
- Genre : Mélodrame, Musical, LGBTQIA+
- Nationalité : Français, Allemand, Portugais
- Durée : 1h50mn
- Titre original : Der Rosenkönig
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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Parrainée par Genet et Cocteau, cette célébration de l’amour et de la mort dédiée à Magdalena Montezuma est un des sommets de la filmographie de Schroeter. Renversant de beauté.
L’argument : Une mère porte un amour excessif à son fils, lequel entretient une passion pour les roses et pour un mystérieux jeune homme.
Notre avis : S’ouvrant sur le plan stupéfiant d’une rose rouge sang éclosant en accéléré pendant que Maria Callas chante la prière de Tosca, Der Rosenkönig est tout entier une célébration de la mort au travail et de la beauté liée à la destruction. Murs lépreux, vieilles gravures et photos jaunies, statue de la vierge craquelée sur laquelle se juche une souris blanche, vitraux cassés, immenses toiles d’araignées : les marques du temps et de l’usure inexorable sont célébrées inlassablement par des plans à la composition élaborée et les fastes de la photo sublime d’Elfie Mikesch pendant que la bande son alterne valses entraînantes, fados ou airs d’opéras.
S’il ressemble à un rêve éveillé ou à un merveilleux cauchemar, le film de Schroeter est avant tout solidement ancré dans la matérialité du monde. Le fabuleux bestiaire (grenouilles, moutons, hiboux), le décor d’une bergerie comme la présence d’enfants aux jeux impitoyables qui observent toute l’action d’un oeil narquois ont la force brute d’une réalité archaïque non filtrée par les habitudes du regard. Mais cette force documentaire est à l’oeuvre d’un bout à l’autre, le film enregistrant les gestes précis qu’exécutent les personnages, gestes d’une évidence de sens mais aussi d’une opacité totale, résistant à toute interprétation réductrice.
C’est au Portugal que Schroeter trouva les couleurs vives et comme saturées d’humidité qui donnent à son Roi des roses un impact visuel exceptionnel, mais les langues et les références se mêlent comme souvent chez lui. Si la plupart des dialogues sont en allemand, Antonio Orlando parle en italien, Mostefa Djamdjam lit un poème en arabe, on entend la voix de Gloria Swanson en anglais dans une pièce radiophonique de 1949 ou celle de Neruda récitant ses poèmes en espagnol, quelques répliques et paroles de chanson sont en français.
La langue de Jean Genet et de Jean Cocteau ne pouvait bien sûr être absente dans cette célébration lancinante d’un amour ritualisé qui s’accomplit en un cérémonial cruel chargé d’un érotisme intense : plan récurrent d’un corps nu étendu sur la plage et baigné par les vagues, liens qu’on serre et qu’on désserre, vêtements qu’on met et qu’on enlève, corps qu’on lave avec application, nourriture offerte (mange, tu dois manger). Le point culminant de ce fascinant cérémonial est atteint lorsque le jardinier amoureux lacère le corps de l’aimé pour l’orner de roses, le transformant en véritable idole sacrificielle.
La violence est d’ailleurs toujours présente, frôlant parfois l’insoutenable , comme dans la vision répétée d’un chat aux yeux crevés cloué contre une porte. Mais c’est une étrange sensation de douceur qui domine, non seulement dans la magnifique scène d’amour au plan de pieds enlacés qu’accompagne l’ancestrale mélopée napolitaine jesce sole, mais aussi dans l’embrasement successif, rythmé par un pot-pourri entraînant avant que l’air de Louise, Depuis le jour où je me suis donnée, n’apporte un apaisement synonyme de langueur voluptueuse.
L’adoration du corps masculin est le motif central du tableau dans Le Roi des roses, une des rares oeuvres à thématique ouvertement homosexuelle de son auteur, mais le film est aussi un hymne à l’art et à la personnalité généreuse de Magdalena Montezuma, décédée d’un cancer le 15 juillet 1984, peu de temps après la fin du tournage.
J’ai souvent dit que la femme était une image magnifique de la mort. Maria Casarès dans Orphée de Cocteau en est la plus belle incarnation. Avec Le Roi des roses, on a atteint au paroxysme : Magdalena savait qu’elle allait mourir bientôt. Et dans ce film, on sent cette lutte entre la vie et la mort. (Propos recueillis par I. Danel, Télérama, n° 2175, 18/09/1991 et cités dans le programme de la rétrospective du Centre Beaubourg)
C’est pour elle et avec elle que, la sachant condamnée, le cinéaste à monté dans l’urgence propice à l’éclosion des chefs d’oeuvres ce film-offrande qui renoue avec l’inspiration de sa première période et dépasse en beauté dévastatrice à peu près tout ce qu’on peut imaginer.
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