Château de cartes
Le 20 août 2011
Chant du cygne de la première période de Schroeter, Les flocons d’or réunit plusieurs films en un. Bancal et sublime.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Bulle Ogier, Udo Kier, Andréa Ferréol, Magdalena Montezuma, Christine Kaufmann, Ila von Hasperg, Ellen Umlauf
- Genre : Mélodrame, Musical
- Nationalité : Français, Allemand
- Durée : 2h43mn
- Plus d'informations : http://www.centrepompidou.fr
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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Chant du cygne de la première période de Schroeter, Les flocons d’or réunit plusieurs films en un. Bancal et sublime.
L’argument : Quatre histoires, « Cuba », « Drame du rail », « Cœur brisé » et « La trahison », encadrées par un prologue et un épilogue, exaltent la sensualité des corps et la beauté des visages.
Le film préféré de Werner Schroeter, qui mit beaucoup de temps à voir le jour et subit de nombreuses coupes.
Notre avis : Produit par Les films du Losange, l’INA et la ZDF, Les flocons d’or est un film dont la genèse fut complexe. La partie en noir et blanc, Coeur brisé, fut tournée à Avignon en 1973. C’est là qu’apparaît la villa qui donne son titre à l’ensemble. Le tournage reprit durant l’été 1975 à Bochum (Drame du rail), Paris, Ravenne et sans doute ailleurs encore. Mais certaines séquences restèrent à l’état d’ébauche, en particulier l’épisode parisien dont ne subsiste que la scène avec Bulle Ogier en clocharde s’installant sous un lampadaire Avenue de l’opéra sous les regards perplexes des passants. D’autres disparaîtront au montage : Ingrid Caven, créditée dans les filmographies, n’apparaît pas dans le film.
Présenté à la télévision allemande le 20 mai 1976 (et en salle à Mannheim le 8 octobre), le film fut montré au même moment dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, mais sera mystérieusement amputé de Drame du rail lors de sa sortie parisienne à L’olympic Saint Germain.
Les flocons d’or, qui clôt la première période de l’oeuvre du cinéaste avant la nouvelle phase entamée avec Nel regno di Napoli, fut peu vu et reste un film un peu mal aimé dans l’oeuvre du cinéaste. Cela tient sans doute en partie à son côté éclaté, chaque épisode partant dans une direction différente, et au fait que le prologue, l’épilogue et la partie tournée à Avignon placent la barre tellement haut que le reste fait presque pâle figure en comparaison.
- Les flocons d’or (Schroeter)
Et pourtant, pris pour eux-mêmes, En Cuba, Drame du rail et Der Verrat sont tous trois d’éclatantes réussites.
Le premier, entièrement en espagnol, nous fait pénétrer dans l’univers capiteux et mortifère d’une télénovela tropicale dont la machine dramatique se serait enrayée et dont les personnages archétypaux seraient condamnés à rejouer sans cesse les scènes clés, à reprendre inlassablement les mêmes postures et à répéter les mêmes répliques définitives ponctuées de plans d’objets-symboles : un collier de perles blanches qui peut servir à étrangler, une seringue injectant de l’héroïne dans un bras, le pommeau d’une canne en forme de serpent.
Des visages exagérément fardés exprimant douleur ou stupéfaction ; de longues tirades frisant l’absurde (Nous n’avons pas compris pourquoi tout le monde s’est levé lorsqu’on a joué du Mozart. On aurait pu nous prévenir que c’était l’hymne national,...etc.) ; une parodie de pietà, la femme agenouillée crachant du sang sur le ventre découvert de l’homme apparemment mort d’une overdose ; un luxuriant jardin où les personnages sont obligés de se frayer un chemin en écartant la végétation ; un carnaval et un feu d’artifice ; la musique omniprésente (airs opéra ou vieux tubes latinos) : En Cuba est un rêve de mélodrame qui fascine de bout en bout mais dont la durée (environ une heure) paraîtra un brin excessive à certains.
Drame du rail, ahurissant roman photo tourné dans le décor surprenant d’une gare de triage, choisit le registre de l’outrance grotesque et donne à ses actrices l’occasion de compositions mémorables. Difficile de résister à la vision de Magdalena Montezuma, la fille perdue juchée sur de vertigineux talons compensés, titubant entre les rails après que sa petite soeur, l’innocente orpheline élevée à l’écart du monde, lui ait révélé qu’elle était tombée amoureuse. Le choix d’Andrea Férréol pour interpréter ce rôle tient du contre-emploi génial, révélant chez l’actrice une espèce de candeur qu’on ne lui connaissait pas. C’est elle aussi dont les improvisations à l’harmonica constituent l’unique accompagnement musical de ce drame paradoxalement dépouillé qui tient du morceau de bravoure mais dont l’aspect second degré est subverti par le sérieux (et non l’inverse).
Les flocons d’or (Schroeter 1973/75)Quant à Réalité - Vérité !, ou La trahison, sombre drame bavarois traité sur un mode burlesque, il fait des clins d’oeils insistants à Fassbinder (Le marchand des quatre saisons) ou Peter Fleischmann (Jagdszenen aus Niederbayern) mais lorgne aussi du côté de Buñuel ou de Cocteau : le gros plan de la coccinelle rampant sur le pouce rappelle Un chien andalou et Magdalena Montezuma en ange mystérieux et funèbre aux grandes ailes noires accompagnant les errances bucoliques du héros est bien la Mort de Franzl comme Maria Casarès était la Mort d’Orphée.
Les airs de doux demeuré d’Udo Kier, errant au milieu des champs en fleurs vêtu d’une parka de la Bundeswehr, situent son Franzl quelque part entre le fol Parzifal et un M le maudit fuyant on ne sait trop quelle malédiction. C’est caricatural, certes, mais empreint d’une poésie touchante.
Ces trois épisodes, nous l’avons dit, restent un peu en deçà de celui qui constitue le point de départ, plus ou moins improvisé, du film : les 35 minutes en noir et blanc de Coeur brisé tournées à Avignon en 1973. On a rarement vu quelque chose d’aussi sidérant. On dirait les fragments d’un chef d’oeuvre inconnu du muet miraculeusement préservé (d’ailleurs les premières répliques ne se font entendre qu’au bout de 20 minutes). La qualité de la photo elle-même semble surnaturelle : gros grain qui se confond par moments avec les stries d’une pluie diluvienne, surexposition renforcée par un jeu subtil de miroirs qui transforme le visage de la folle assassine (Bulle Ogier, plus fragile et diaphane que jamais) en tache de lumière. Le film célèbre aussi la sensualité rayonnante d’Andrea Férreol qui arpente les rues de la ville en robe noire outrageusement fendue suivie par une mystérieuse Magdalena en imper de privé avec qui plus tard elle esquissera quelques pas de tango, se roule par terre pour embrasser ses chiens ou tente piteusement de se noyer dans une eau trop peu profonde. Lacunaire, d’une étrangeté irréductible et d’une beauté à couper le souffle Coeur brisé est une expérience cinématographique unique permettant de ranger Schroeter au niveau des plus grands (Murnau,le Dreyer de Vampyr)
Le prologue et l’épilogue ne sont pas moins étonnants : Magdalena (toujours elle) mimant en très gros plan une diva interprétant la Marseillaise (un enregistrement d’Emma Calvé du début du 20ème siècle) et semblant surprise elle-même des paroles qu’elle chante et de l’effet produit sur le public. La même en sphinx surveillant le gracile blondinet (Udo Kier encore) qui s’échine désespérément à construire un château de cartes qui ne cesse de s’écrouler (il réussira à la fin), alternant avec des plans de Christine Kaufmann en espagnole d’opéra, le tout sur fond d’air des cartes chanté par Conchita Supervia. Là aussi nous n’aurons que quelques fragments d’un puzzle qu’il serait vain de tenter de recomposer mais qui brillent chacun d’un éclat aveuglant.
On comprend que Schroeter ait toujours nourri une affection particulière pour ce film disparate aux beautés fulgurantes. Sa programmation à Beaubourg dans une fort belle copie restaurée, et, qui sait, une prochaine édition DVD devraient permettre une réévaluation amplement méritée.
Les flocons d’or (Schroeter 1973/75)
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