L’histoire en musique
Le 19 mai 2013
Le deuxième volume de la collection Schroeter des Editions Filmmuseum réunit deux films qui abordent ce qu’on appelle communément la Grande Histoire par le biais d’une approche singulière et paradoxalement juste.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Ida di Benedetto, Margareth Clémenti, Antonio Orlando, Magdalena Montezuma, Carla Aulaulu, Mascha Elm-Rabben, Liana Trouche
- Genre : Comédie dramatique, Historique, Musical
- Nationalité : Allemand, Italien
- Durée : 1h05mn + 2h11mn
- Plus d'informations : http://www.choses-vues.com/blog/pro...
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Le deuxième volume de la collection Schroeter des Editions Filmmuseum réunit deux films qui abordent ce qu’on appelle communément la Grande Histoire par le biais d’une approche singulière et paradoxalement juste.
L’argument :Dans l’Allemagne d’après-guerre, le passé, le présent et les fantasmes de trois femmes qui se produisaient dans des cabarets nazis.
Vittoria et Massimo Pagano naissent à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale dans un quartier populaire de Naples. Leur mère Maria , fervente catholique, envoie sa fille à l’école des bonnes soeurs malgré l’opposition du père communiste. Elle meurt quelques années plus tard. La voisine Valeria prostitue sa fille Rosa à un soldat américain en échange de farine...
Notre avis : Articulé en trente et un chapitres qui, de 1942 à 1972, replacent cette cronaca familiare (Schroeter dixit ; le titre allemand est d’ailleurs Neapolitanische Geschwister / Frère et soeur napolitains) dans une grande Histoire délibérément réduite à l’anecdote dérisoire (celle que privilégient justement les actualités d’époque citées), Nel regno di Napoli (Dans le Royaume de Naples) est le premier film de Schroeter qui s’éloigne de l’expérimentation underground ludique pour adopter une forme narrative plus classique.
Le film est un mélodrame à la fois cru et distancié, soucieux d’authenticité documentaire et totalement théâtral, récusant l’opposition entre culture noble (Maria Callas à la radio ; les splendeurs architecturales de Naples ou la Pietà de Michel-Ange promenée sans emballage dans les rues sur une camionnette avant d’être hissée sur un paquebot) et populaire (les classiques de la chanson napolitaine déclinés selon les styles d’interprétation les plus variés), se jouant du pittoresque (ce coucher de soleil de carte postale sur le Vésuve !) comme du misérabilisme complaisant.
- Ida di Benedetto dans Nel regno di Napoli (1978)
Le film célèbre, sans idéalisation, les contradictions de la cité parthénopéenne, sa grandeur et sa misère, et exalte la beauté, la noblesse et la force de résistance malgré tout de ses éternels perdants, entraînés dans le cercle vicieux de la pauvreté et de l’exploitation et gardant néanmoins jusqu’au bout une lueur d’espoir sans illusions.
Lire la critique : Nel regno di Napoli
- Nel regno di Napoli (1978)
– Schroeter déclarait aimer beaucoup Der Bomberpilot qu’il trouvait lui-même plutôt bizarre et qu’il considérait comme sa seule véritable incursion dans le genre de la comédie.
Cette opérette nazie pas tout à fait sérieuse (formule utilisée par certains critiques en référence à un commentaire de Schroeter qualifiant le film de Visconti La caduta degli dei / Les damnés, d’opérette nazie sérieuse), au comique volontiers absurde et aux accents potaches (Carla chantant Wiener Blut dans la pâtisserie viennoise), est par moments hilarante (le voyage du trio au Texas filmé, sur le mode des anciennes actualités, dans une base américaine en Allemagne), souvent étrange et toujours déroutante. Elle est surtout totalement réfractaire à la fascination complaisante (genre Portier de nuit) comme au discours bien pensant (la naïveté idéologique des personnages n’est pas tournée en dérision) mais les aperçus qu’elle offre sur l’Allemagne passant du nazisme à l’américanisation sont souvent d’une justesse paradoxale.
Lire la critique Der Bomberpilot
- Carla Aulaulu et Werner Schroeter dans Der Bomberpilot (1970)
Le DVD
- Der Bomberpilot & Nel regno di Napoli - DVD Filmmuseum
Le volume 2 de la collection Schroeter chez Filmmuseum était annoncé depuis longtemps. Il est enfin disponible, distribué en France par Choses vues.
Les suppléments
C’est comme toujours un travail d’édition très soigné auquel s’est livrée l’équipe de Filmmuseum. Le coffret de deux DVDs contient donc :
– Un livret de 16 pages, illustré de fort belles photos, qui rassemble six textes reproduits dans leur langue originale (allemand, anglais, français) et non traduits : les présentations des deux films par Schroeter lui-même ; un article enthousiaste de Fassbinder ; un autre de Wolf Wondratschek, surpris d’être cité au générique comme co-auteur du scénario (Ich war’s nicht / C’était pas moi) et racontant un voyage commun au Mexique pour la préparation d’un film jamais tourné ; un article en anglais de Bradford Nordeen (Werner Schroeter’s Passion Plays) ; et enfin, en français, un très beau texte de Gérard Courant, datant de 1982 : Vivre à Naples et mourir.
– Une galerie de photos de tournage et deux compléments de programme audiovisuels :
– Vivre à Naples et mourir, présenté le 15 janvier 2010 à l’occasion de la Rétrospective Schroeter au Centre Pompidou , est un montage au cours duquel Gérard Courant nous fait entendre la bande enregistrée d’une longue conversation en français avec Schroeter (une heure et demie) réalisée au moment du passage de Nel regno di Napoli au Festival de Cannes de 1978 en l’accompagnant d’un contrepoint visuel (extraits de films, photos, textes) qui échappe à la simple illustration redondante. Schroeter y parle notamment de son travail théâtral, inconnu en France à l’époque.
– Un précieux document de 16 minutes qui nous permet de voir Werner Schroeter, facétieux et en grande forme, répondant aux questions (coupées) du public après une projection à la cinémathèque autrichienne (Österreichischen Filmmuseum) en 1978.
Image
Respectant l’esprit des oeuvres, la restauration n’a pas cherché à effacer à tout prix la patine que le temps et les aléas de la conservation ont imprimée à ces films tournés dans des conditions précaires. Mais elle a néanmoins rendu son éclat aux flamboyantes couleurs de Der Bomberpilot dont la copie est vraiment très belle.
Le résultat est plus mitigé pour Nel regno di Napoli, tourné également en 16mn et dont le gonflage en 35 est très visible. La photo (signée Thomas Mauch quand même !) passe d’une grisaille un peu sale à des séquences aux couleurs vives et au caractère pictural affirmé (les tenues à l’élégance agressive, vulgaire, de la Ferrante, jouée par Ida di Benedetto ; le rideau rouge derrière lequel officie Rosalia La Française). Mais le refus de l’unité, de la perfection lisse, du pittoresque joli est au coeur du projet esthétique du film et une restauration trop poussée l’aurait sans doute dénaturé.
On ne peut donc que saluer ce travail scrupuleux (le report numérique est irréprochable) en regrettant tout juste l’absence de chapitrage (deux chapitres seulement pour le film napolitain, correspondant aux deux couches du DVD alors que, pour une fois, il aurait suffi de suivre le découpage en 31 chapitres proposé !).
- Antonio Orlando dans Nel regno di Napoli (1978)
Son
Un son mono (dolby Digital 2.0) qui ne cherche pas à masquer les limites des bandes d’origine mais parfaitement audible et permettant à l’oreille attentive de distinguer les sept dialectes napolitains utilisés dans Nel regno et aux musiques nombreuses et variées de produire leur effet imparable (entre empathie et distanciation).
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