Métamorphoses
Le 19 novembre 2010
Edité en DVD par Filmmuseum (distribué par Choses Vues), Eika Katappa est une des oeuvres majeures de la première période de Werner Schroeter, auquel Le Centre Beaubourg consacrera une rétrospective très attendue du 2 décembre 2010 au 22 janvier 2011.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Magdalena Montezuma, Carla Aulaulu, Gisela Trowe
- Genre : Mélodrame, Musical, Expérimental
- Nationalité : Allemand
- Editeur vidéo : filmmuseum
- Plus d'informations : http://www.centrepompidou.fr/Pompidou/Manifs.nsf/0/59BBE1EADAD94EF1C125777A00309BDD?OpenDocument&sessionM=2.4.2&L=1&form=Actualite
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– Durée : 2h24mn
Edité en DVD par Filmmuseum (distribué par Choses Vues), Eika Katappa est une des oeuvres majeures de la première période de Werner Schroeter, auquel Le Centre Beaubourg consacrera une rétrospective très attendue du 2 décembre 2010 au 22 janvier 2011.
L’argument : L’argument : Filmé à Naples, le film est un hymne à l’amour et à la mort. Cette œuvre d’une extrême originalité intègre déjà toute la thématique qui nourrira ses films : l’opéra, la chanson populaire, la théâtralité, l’utilisation de travestis dans les rôles de femme, l’obsession de la mort et une polyvalence des pratiques artistiques les plus diverses. On y découvre aussi l’interprète qui deviendra son interprète fétiche : Magdalena Montezuma. (Blog de choses-vues)
Notre avis : Après avoir quitté, au bout de quelques semaines seulement, l’école de Cinéma de Munich (Hochschule für Film und Fernsehen), Werner Schroeter (Le règne de Naples), qui prétendait avoir eu sa première caméra à douze ans, tourna toute une série de courts-métrages en super 8. Il disait avoir présenté l’un d’eux, Zwei Katzen (perdu, mais peut-être est-ce un autre titre pour Verona) au festival de Knokke-le-Zoute en décembre 1967.
Ses premiers essais en 16mm, les moyens-métrages Neurasia et Argila (deux bandes à projeter simultanément sur deux écrans) furent très remarqués lors de la Hamburger Filmschau de mars 1969, et le premier long, Eika Katappa, remporta le Prix Joseph von Sternberg du festival de Mannheim en octobre de la même année. Cette récompense incita les troisièmes chaines régionales de la télévision allemande à acheter et à programmer le film, entamant avec le cinéaste une collaboration régulière.
Le théâtre et l’opéra sont au coeur des films de Schroeter. Il se consacrera d’ailleurs de plus en plus à la mise en scène théâtrale (à partir d’Emilia Galotti au Deutsches Schauspielhaus de Hamburg en 1972) et lyrique (Lohengrin, à Kassel en 1979 ; plus tard, entre beaucoup d’autres, une Tosca, souvent reprise, à l’opéra de Paris-Bastille). Cette activité, intense, finira d’ailleurs par reléguer le cinéma au second plan, même si Poussières d’amour - Abfallprodukte der Liebe, en 1996, associera encore une fois les deux.
L’art lyrique est inlassablement célébré dans Eika Katappa. Les airs et ensembles de Verdi, surtout, mais aussi ceux de Bellini, d’Ambroise Thomas, de Puccini ou encore du Fidelio de Beethoven reviennent sans cesse dans la bande son. Mais bien d’autres musiques sont convoquées, la grande (Penderecki, Richard Strauss) alternant avec celle dite légère : Le beau danube bleu, les tubes de variété (Caterina Valente, un faux Elvis Presley) ou le tango.
Car le film, dont le titre mystérieux serait la déformation d’une expression grecque voulant dire images dispersées, est un collage jubilatoire , une revue endiablée, mêlant allègrement présent et passé, grotesque et sublime, art noble et culture de masse, mais sans recourir à aucun moment au second degré ou à la parodie.
Le mythe des Nibelungen, le martyre de Saint Sébastien, La Traviata, Rigoletto, mais aussi des scènes de mélodrames naturalistes ou de films noirs se succèdent, se répondent, s’imbriquent. Les citations sont aussi bien textuelles, qu’iconographiques et musicales. Les acteurs sont des pantins géniaux qui rejouent jusqu’à plus soif les mêmes scènes paroxystiques. Ce qui, dans un décor de studio pourrait être répétitif et lassant, prend, filmé dans les décors naturels (Heidelberg, Rome, Naples) parfois incongrus (un gazomètre), une dimension fascinante. Le décalage est partout mais, loin de rompre le charme, il en participe, installant une délicieuse et irréductible étrangeté.
L’alliance troublante du mécanique et du vivant passionne Schroeter : pantomime, pendules et mécanismes d’horlogerie, automate chantant qu’il faut remonter comme dans Les contes d’Hoffmann. Nous sommes dans le plus pur baroque : sans cesse Vanitas et memento mori viennent nous rappeler la fragilité de l’existence humaine et exalter l’éternité de l’instant présent.
La mort en personne se présentera, dans l’épisode napolitain, sous les traits d’un jeune homme à la beauté troublante (Hermès ou Charon ?), emmenant par la main le jeune Mario que son père ramassera sur le quai au bord d’une route où passe un flot ininterrompu de voitures. Le messager de l’au-delà prendra, lui, le bateau pour Capri, la caméra découvrant la baie de Naples dans un superbe plan fixe en mouvement.
D’autres beaux jeunes hommes défilent à l’écran, mais ce sont surtout les actrices qui sont à l’honneur. Schroeter, qui clôt le film sur un portrait de Maria Callas (dont on aura souvent entendu la voix précédemment), renoue avec la tradition du divisme.
L’étrange Magdalema Montezuma, qui jouera dans quasiment tous les films du cinéaste, est la reine de la métamorphose : Kriemhilde hiératique ou bossu ricanant. Mais l’exubérante et non moins caméléonesque Carla Aulaulu, ainsi que l’émouvante Gisela Trowe (en dame aux camélias) crèvent elles aussi l’écran d’une présence totalement subversive.
Car pour Schroeter l’art n’est jamais patrimonial mais toujours subversion libératoire et sublime. Eika Katappa, rendu à ses vives couleurs par une récente restauration, bouscule les habitudes et procure deux heures et demie de bonheur hors du temps.
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Le DVD
Le Filmmuseum et le Goethe-Institut de Munich proposent une édition DVD superlative de films devenus rares et qu’on ne pouvait plus voir que dans des copies très détériorées. Miraculeux. La distribution en France est assurée par choses-vues.
– Nous analyserons très prochainement La mort de Maria Malibran.
Les suppléments
Un menu copieux et de premier choix :
– Un livret de 16 pages reproduisant le texte essentiel que Schroeter publia dans l’hebdomadaire Der Spiegel le 26 septembre 1977 à l’annonce de la mort de Maria Callas. Ce témoignage bouleversant est en même temps un manifeste de la démarche du cinéaste.
– Argila (1968), une expérience fascinante qui fait se dérouler simultanément deux films de 36 minutes, l’un en couleur, l’autre en noir et blanc, et une unique bande sonore. La même histoire (de roman photo) est racontée par bribes, en décalé ou en même temps, créant des effets troublants de réminiscences et de télescopage entre passé et présent.
– Maria Callas Porträt (1968), un magnifique court-métrage de 10 minutes orchestrant photos et enregistrements de la Callas.
– Enregistré lors de la Viennale en octobre 2008, un entretien de 24 minutes pendant lequel Schroeter, visiblement marqué par la maladie, émerveille comme toujours par cette intelligence vive qui le caractérise et la simplicité précise de la formulation de sa pensée. Il parle admirablement de Maria Callas, celle qui arrivait à transformer le temps en espace, de Michel Foucault, de Jean Genet, de l’expérience des marges comme condition sine qua non de la possibilité même de l’art, de l’amitié.
Image
Un véritable miracle (mais chez Schroeter tout est miraculeux) : tout ce que les retirages anciens avaient été incapables de conserver, l’éclat des couleurs, la plasticité (Surtout pour Malibran : on dirait du 3D), obtenue grâce à un prodigieux travail d’éclairage et des pellicules ultrasensibles qui ont depuis longtemps disparues de la circulation, sont restituées comme au premier jour par un formidable travail de restauration digitale supervisé par l’auteur lui-même. Les défauts d’origine, part intégrante de la magie de ces films qui affichent leur fragilité, ont bien sûr été scrupuleusement conservés. La compression est excellente.
Son
Là aussi le travail de restauration est admirable. Il ne s’agissait évidemment pas de supprimer à tout prix les défauts d’enregistrements musicaux historiques, souvent pris sur le vif, mais de retrouver la dynamique d’origine généralement écrasée par les nettoyages. De la mono frontale donc, 2.0, franche, efficace.
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