Enluminure arménienne
Le 20 avril 2015
Le chef-d’oeuvre de Paradjanov, mutilé mais inaltérable, offert en don au spectateur.
- Réalisateur : Sergei Paradjanov
- Acteurs : Sofiko Tchiaourelli, Spartak Bagashvili, Gogi Gegechkori
- Genre : Biopic, Historique, Expérimental
- Nationalité : Arménien
- Distributeur : Capricci Films
- Durée : 1h19mn
- Titre original : Nran guyne
- Date de sortie : 27 janvier 1982
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Résumé : Tableaux de la vie du trouvère et poète arménien Harutyun Sayatyan surnommé "Sayat Nova - Le roi des chansons"(1712-1795).
Critique : Tourné en 1968 au monastère Haghpat (XIIIe siècle) en Arménie, ainsi que dans les studios d’Erevan et de Kiev, Nran guyne - Sayat Nova est le huitième long-métrage de Sergeï Paradjanov, auréolé du succès de Тіні забутих предків - Les ombres des ancêtres disparus/ Les Chevaux de feu (1964), mais sortant de l’expérience malheureuse d’un film interrompu, Les fresques de Kiev.
C’est un des objets les plus singuliers que le cinéma ait produit : il ne ressemble à rien de ce qu’on a pu voir avant et après. Cette singularité causera bien des ennuis au film et à son auteur : remontage chronologique et doublage en russe par Serguei Youtkevithch en 1971 sous le titre La Couleur de la Grenade ; emprisonnement de Paradjanov en 1973.
Ce n’est que dans les années 90, après la mort de Paradjanov, qu’on pourra découvrir une version arménienne assez largement diffusée aujourd’hui. Il en existe aussi une version rushes de quatre heures comportant de nombreux plans absents de la version courante. Mais le moindre fragment de cette œuvre est d’une telle force poétique qu’aucune mutilation ne parvient à en atténuer l’impact.
Certes, on peut lui trouver quelques frères ou cousins : le Cocteau du Sang d’un poète, le Pasolini de Médée ou le Tarkovski d’Andrei Roublev. Mais le geste esthétique, et politique, de Paradjanov dans Nran guyne - Sayat Nova est encore plus radical.
Le film tente de retrouver un langage poétique que, pour simplifier, on pourrait associer au Moyen Âge : enluminure, fresque, icônes, importance de l’écrit, symbolisme totalement ancré dans le
Pas de récit, ni dialogues, mais des tableaux à la fois figés et extrêmement animés : il y a toujours quelque chose qui bouge dans ces plans rigoureusement fixes.
Ces tableaux sont tous des prodiges de composition et échafaudent parfois des constructions spatiales ahurissantes mais ils n’invitent pas à la contemplation. Ils sont toujours courts et leur succession obéit à une combinatoire dont la logique nous échappe mais dont la nécessité relève de l’évidence.
Le cinéma de Paradjanov est primitif : frontalité, refus absolu du mouvement de la caméra, escamotages à la Méliès,... et en même temps proche de la modernité des années 60 : faux raccords délibérés, collages, impureté revendiquée. (Le cinéma c’est la peinture, la musique, la danse, l’artisanat...). Artifice et réalisme y font bon ménage : visages, cheveux, mains, objets peints de couleurs vives, mais aussi l’eau omniprésente, le feu, la terre, les grenades écrasées... Il est d’une sophistication extrême et d’une totale simplicité, celle d’un hymne franciscain à la beauté de la création.
Les acteurs, qui ne s’identifient jamais aux personnages, le poète étant incarné tantôt par un homme, tantôt par une femme, font face au spectateur et lui présentent les objets qu’ils ont en mains, livres, instruments de musique, comme pour lui en faire don, très simplement, comme Paradjanov nous fait don de son film.
– Année de production : 1968
– Sortie en URSS : octobre 1969 (Erevan, Arménie) ; 27 août 1970 (Moscou)
- Sayat Nova - Paradjanov 1968 - capricci / sofilm 2015
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