Tous les marins du monde
Le 5 décembre 2010
Placé sous le signe de Genet et de Cocteau, ce tour du monde dans une chambre retrouve la magie originelle du cinéma.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Bulle Ogier, Maria Schneider, Margareth Clémenti, Harald Vogl, Jim Auwae, Tilly Soffing
- Genre : Aventures, Romance, Expérimental, LGBTQIA+
- Nationalité : Suisse
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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– Durée / 0h55mn
Placé sous le signe de Genet et de Cocteau, ce tour du monde dans une chambre retrouve la magie originelle du cinéma.
L’argument :Deux marins s’aiment d’amour tendre. Ils font le tour du monde, de port en port, Tunis, Gènes, Hambourg, San Francisco, Hong Kong, jusqu’à ce que leur destin soit scellé dans le sang.
Notre avis : Paru dans le N°186 de la revue Filmkritik en juin 1972 sous le titre Die Matrosen dieser Welt - (Les marins de ce monde), le projet pour un film de Werner Schroeter y était précédé de quatre photos extraites du film de Jean Genet Un chant d’amour (1950) choisies par l’auteur. Les affinités du cinéaste avec l’auteur de Querelle de Brest sont évidentes mais la foule de péripéties accumulées dans les six chapitres de la nouvelle placent plutôt l’entreprise dans la tradition des romans d’aventures de la littérature populaire.
L’ébauche avait un titre alternatif, Zwei Herzen erobern die Welt - Deux coeurs à la conquête du monde, et le film devait, selon Schroeter, décrire : la rencontre, l’amour, les étapes les plus extrêmes du voyage commun de ces deux êtres humains exceptionnellement heureux.
Prévu pour être tourné dans les grands ports où se déroulaient l’action, le projet réclamait un budget conséquent et resta longtemps dans les cartons.
Au printemps de 1978, le producteur Eric Franc lui proposant la somme dérisoire de 70 000 francs suisses, une semaine de tournage dans une maison de Zürich et un matériel prêté, Schroeter, qui venait d’achever son premier gros film, Nel regno di Napoli, saisit l’occasion pour renouer avec la pratique de ses débuts et réaliser dans des conditions totalement artisanales ce Weiße Reise qui ressuscite l’esthétique de la lanterne magique.
Et c’est bien dans l’émerveillement enfantin du cinéma des origines (et même du pré-cinéma) que nous plongent les 55 minutes de ce bricolage poétique qui ignore superbement toutes les règles du cinéma narratif classique pour dérouler, sous forme d’un rituel rudimentaire, les stations du périple de Thomas et de Fausto à travers les ports de Tunis, Gênes, Hambourg, San Francisco, La Nouvelle Orléans ou Hong-Kong, évoqués en quelques traits naïfs et en couleurs vives sur les murs sans cesse repeints d’une seule et même pièce dont on finira par découvrir le contre-champ, une grande fenêtre donnant sur les toits de la ville au petit matin.
L’image ne cherche nullement à coller au texte, lu en voix off par la voix malicieuse de Bulle Ogier et assortis de bruitages réjouissants. Ce décalage participe de l’humour camp totalement candide et poétique de ce carnaval joyeux parcouru par une mélancolie secrète.
Les actrices changent de rôles comme de costumes bariolés (signés Ursula Rodel), l’exquise Margareth Clémenti incarnant aussi bien un sphinx tout droit sorti de Cocteau, (la référence principale du film), qu’une fille de joie du port de Hambourg repoussant violemment et allant même jusqu’à piétiner un grossier personnage tout de cuir vêtu qui l’avait abordé sans ménagement sous l’emprise de la boisson et qui est incarné par Schroeter himself.
Dédié à Harald Vogl, amant du cinéaste, qui interprète le rôle de Fausto et signe les décors, Weiße Reise est une célébration joyeuse de la beauté et de l’amour à mort qu’on regarde l’oeil écarquillé d’un bout à l’autre. Un rêve de film ou un film de rêve, au choix.
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