Le 11 avril 2006
- Auteur : Barry Eisler
Il vient de publier Macao blues. Rencontre avec un auteur simple, chaleureux et humain.
Barry Eisler, ses livres font le tour du monde, T.S. Eliot. et sa boulimie de la vie le guident, et l’homme a su rester simple, chaleureux et humain. Ne cherchez pas, il n’y a pas d’erreur !
Dans Macao blues, au-delà de la description très réaliste des villes, de leurs habitants, des scènes de combat, vous explorez subtilement la frontière entre la fiction et la réalité. Ce penchant remonte-t-il à votre enfance et à votre vie dans le New Jersey ou bien a-t-il germé en vous au fil de vos voyages au contact de ces villes portuaires à la population cosmopolite ?
J’ai vécu mon enfance en banlieue du New Jersey de façon très protégée. Mes parents s’intéressaient à beaucoup de choses mais cela n’avait pas d’impact sur moi. À vingt ans je me suis mis à lire énormément et j’ai réalisé que j’ignorais tout du monde. J’ai acheté un globe et suis resté des heures dans mon lit, les yeux fermés, à deviner la position des lieux pointés du doigt (rires). Cela m’a donné le goût du voyage. Une fois que je suis parti explorer le monde, j’ai ressenti un véritable choc qui m’a ramené à cette enfance. Je dirais que mon penchant pour l’exploration du passage de la fiction à la réalité et inversement s’alimente chez moi de ces deux phases de ma vie.
De quelles lectures provient votre goût pour la sombre personnification des lieux et la "dépersonnification" des habitants de Macao, de Tokyo ?
Cela tient au fait que les aventures de John Rain sont écrites à la première personne. Pour les deux premiers livres [1] je n’avais pas conscience que les lieux par où il passe sont le reflet de son état intérieur. Je ne m’en suis rendu compte que durant l’écriture de Macao blues.
John Rain, tel Macao que vous comparez à un "animal au bord de l’asphyxie", erre bien souvent entre un sentiment de déperdition, voire une perte totale de repères, et un besoin de se raccrocher au passé. Diriez-vous qu’il est le reflet de notre société moderne ?
C’est au Japon que j’ai véritablement compris la culture américaine. On voit mieux les choses quand on peut les comparer à autre chose. John est tellement perturbé qu’il essaie de résoudre tous les conflits qui l’agitent avec cette vision binoculaire.
Alors que John Rain semble apprécier la possibilité qu’offre Barra de Tijuca "d’oublier d’où l’on vient pour s’intéresser uniquement à qui l’on est", Rio le plonge dans un état de mélancolie profonde. Partagez-vous ce sentiment ?
J’ai visité Rio, Barra, Sao Paulo et j’aime à dire que je suis un écrivain voyageur frustré (rires). J’invente d’ailleurs mes histoires pour être cet écrivain voyageur. Quand on voyage incognito et qu’on ne connaît personne on ne peut s’éloigner de soi-même. On y est au contraire davantage ramené. Cela dépend de là où on va. Certaines villes sont plus propices à se réinventer. Barra en fait partie car elle est jeune, vibrante. On ne sent pas le poids de l’Histoire comme à Paris ou à Rome [2].
Bien que dans le premier opus, La chute de John Rain, John ne se sente déjà nulle part chez lui et que vous l’ayez aussi écrit après les événements du 11 septembre 2001, diriez-vous que Macao blues est l’œuvre de la maturité ?
C’est étrange, on ne me pose cette question qu’en France. Macao blues s’éloigne géographiquement de La chute de John Rain et de Tokyo blues et John veut prendre sa retraite. Il est comme libéré. En même temps, il a perdu son amour Midori et ce qu’il considérait son chez-lui. Il vit donc un entre deux.
Dans votre dernier livre, Delilah et John ont une conversation au sujet du 11 septembre 2001, en particulier, du "déni" du gouvernement américain qui continue d’abreuver les Saoudiens en pétrodollars. Le fait d’en parler, relève-t-il pour vous d’un exutoire ou d’un besoin d’ouvrir encore plus les yeux des Américains ?
Des deux. Je ne perds jamais de vue que je raconte une histoire. C’est-à-dire que je n’écris pas dans le but de faire passer des messages, même si j’en ai toujours un. Comme disait Samuel Goldwyn : "Si vous voulez envoyer un message passez par la poste." L’Amérique est dans un tel état de déni psychologique qu’elle ne peut pas voir les liens entre le pétrole et les groupes fondamentalistes. Il faut qu’elle en sorte car ce n’est pas une valeur de survie.
A la fin de Macao blues vous remerciez Robert Baer pour son excellent Sleeping with the Devil : How Washington sold our soul for Saudi crude. Avez-vous été surpris par son analyse du fiasco des renseignements, de la CIA, qui a précédé l’attaque du 11 septembre ?
Il traite surtout de ce fiasco dans son premier livre See no Evil : The true story of a ground soldier in the CIa’s war on terrorism [3]. Ce que raconte Bob correspond tout à fait à ce que j’ai pu voir de la CIA [4]. C’est une bureaucratie qui existe depuis plus de cinquante ans. Et comme dans toute bureaucratie de grande envergure, les gens mauvais, telle l’eau sale l’eau propre, finissent toujours par salir les bons. Malheureusement Bob n’a pas pu mener à bien tout ce qu’il voulait faire.
Propos recueillis à Paris, le 30 mars 2006
Photo Barry Eisler©Janelle McCuen
[1] La chute de John Rain (2003), suivi de Tokyo blues (2005), tous deux pubiés chez Belfond et traduits par Pascale Haas
[2] Les villes que Barry Eisler préfère : New York, San Fransisco, Paris, Barcelone et peut-être Tokyo
[4] Barry Eisler a travaillé trois ans pour le directorat d’opérations de la CIA
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