Le 31 mai 2024
Pasolini signe une œuvre inclassable et dérangeante qui n’a rien perdu de son mordant.
- Réalisateur : Pier Paolo Pasolini
- Acteurs : Jean-Pierre Léaud, Pierre Clémenti, Ugo Tognazzi, Anne Wiazemsky, Ninetto Davoli, Margarita Lozano
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Italien
- Distributeur : NPF Planfilm
- Durée : 1h33mn
- Titre original : Porcile
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
- Date de sortie : 10 octobre 1969
- Festival : Festival de La Rochelle 2022
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Résumé : L’histoire de plusieurs jeunes gens prise à des époques différentes : le Moyen Âge et l’Allemagne contemporaine.
Critique : Voici sans doute un film imparfait, abscons par moments, trop long, trop bavard. Et pourtant, derrière la métaphore un peu lourde du cannibalisme qui trahit une œuvre trop engagée pour notre temps, perce un autre film, celui d’une modernité déroutante et d’un monde privé de Dieu, sans signification. Que ce soit les deux industriels allemands, coupables l’un de sympathie nazie, l’autre (qui a la tête d’un Hitler joufflu) d’avoir un fils qui aime trop les porcs, partout le sentiment a déserté : voir les palabres interminables de Léaud et sa fiancée. Ne reste que le capitalisme triomphant, insatiable et bestial. Si les métaphores sont omniprésentes, c’est peut-être qu’il n’y a plus de mots, plus d’images pour désigner notre temps. Rien qu’une entre-dévoration : en ce sens la partie médiévale du film, quasi muette, représente la vision concrète de la seconde. On y voit un homme, Pierre Clémenti, manger un papillon, un serpent, puis un homme qu’il a décapité, le tout dans un décor aride et inhospitalier. L’anthropophagie est ce qui reste quand la partie humaine a déserté ; elle se confond avec ces « fusions » capitalistes abstraites qui détruisent les hommes au profit de l’économie. On rejoint ici le titre ; le porc, celui qui dévore tout, c’est l’homme, et le plus beau des châteaux, derrière ces tentures et ses raffinements, n’est jamais qu’une porcherie.
Pasolini mêle les genres, mais aussi les styles et les jeux d’acteurs : entre la roublardise de Tognazzi et la distanciation d’Anne Wiazemsky ou la sobriété de Clémenti, c’est le disparate qui l’emporte, créant une sorte de collage cinématographique qui sonne comme autant d’hommages et de références. De même les champs-contrechamps pendant les dialogues des « fiancés » s’opposent-ils aux plans larges de la partie médiévale. Tout se passe comme si le cinéaste tentait une synthèse de l’histoire humaine dans ce qu’elle a d’aberrant et, en même temps mais de manière plus discrète, de l’histoire du cinéma (du muet au film historique, du cinéma « intellectuel » au cinéma engagé, du drame à la comédie ; quant à l’alternance des époques, elle peut, même lointainement, évoquer Intolérance). Mais le fond demeure : l’homme est un loup, ou plutôt un porc, porté au meurtre, aux abominations (épouvantables mais off sont les récits de crimes nazis ou la mort de Julien). Pasolini enregistre froidement les ravages d’une absence de spiritualité et de morale. Rien ne subsiste qu’un égoïsme cynique.
Plus de quarante ans après sa sortie, si le film reste inconfortable et dérangeant, voire pénible, c’est non seulement à cause de son incroyable pessimisme et de sa radicalité, mais aussi parce que Pasolini refuse toute grâce à ses personnages ; impossible pour le spectateur de se réfugier dans une empathie pour l’un d’entre eux, impossible d’éprouver autre chose que de l’agacement ou du dégoût. En ce sens, Porcherie poursuit une œuvre subversive qui se conclura (et de quelle manière !) avec Salò, une œuvre inclassable, terrible et profondément lucide.
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