Le 25 décembre 2002
Sincère et sans indulgence, Olivier Rolin évoque les années du Tigre en papier, tiraillées entre passions et incohérences, nostalgie et regrets.
Olivier Rolin est fatigué du tumulte, et on peut le comprendre ! Fatigué des shows littéraires et des répliques cent fois répétées. Il était pourtant là, à Rennes, pour les Rencontres Goncourt des Lycéens, au milieu de ces lecteurs un peu à part, et il s’est laissé prendre au jeu. Parler de ses coups de coeur de lecteur, feuilleter l’album des Pieds Nickelés apporté par un élève ou dédicacer un "vrai" tigre en papier, réalisé par une adolescente. Il a tout de même accepté de se laisser kidnapper pour répondre à quelques questions, et nous livrer, avec son immense sincérité, quelques moments de vie et de littérature.
Dans Tigre en papier, on a le sentiment que vous présentez la révolution comme un mode de vie qui consistait à "faire semblant". Faire semblant de vivre, faire semblant d’agir, faire semblant de croire. La révolution a-t-elle été une imposture ?
Non pas du tout. Et d’ailleurs, je ne dirais pas que c’était seulement "faire semblant"... Dans tout mouvement révolutionnaire, il y a une part de déguisement, de masques. D’un autre côté, c’était quelque chose qui avait à voir avec une révolution, mais ce n’en était pas complètement une puisqu’on ne visait pas la prise du pouvoir. Donc je ne verrais pas ça du côté du semblant, de l’artifice. 68, et ce qui a suivi, ça ne cherchait pas... enfin on ne sait pas très bien ce que ça cherchait ! C’était un mouvement révolutionnaire qui ne visait pas la prise du pouvoir. Ceci en fait une chose un peu incompréhensible, un peu difficile, et ceci explique toutes les caricatures qui en sont données, l’idée d’une fausse révolution, ou d’une révolution du faux-semblant. Mais non. Ce n’était pas un déguisement.
Ce n’était pas une fausse révolution ?
C’était une révolution d’un genre jamais vu, qui ne se donnait pas véritablement comme objectif l’accès au pouvoir. Mais ce n’était pas une fausse révolution... C’était peut-être une révolution d’un type nouveau, le dernier soupir de cette idée de la révolution. Mais ce n’était pas faux. La qualifier de "fausse", c’est poser un jugement, un jugement d’ordre moral, un jugement d’imposture, alors que ce n’était pas une imposture, ce n’était pas un mensonge.
Dans le roman, vous faites quand même ressortir le côté "manipulation". Gédéon avait peut-être des objectifs plus ou moins avoués, plus ou moins clairs...
J’ai peut-être un peu exagéré les aspects "farce", la part d’ironie est grande. Je ne voulais pas qu’il y ait la moindre autocélébration de nous. Donc oui, j’ai montré les aspects manipulateurs, les aspects sectaires, les aspects exagérément manichéens... mais il y a aussi des personnages véridiques, sincères et passionnés, et il y a même surtout cela !
Mais toutes choses humaines, et spécialement les choses révolutionnaires, sont extraordinairement ambiguës. Il y a la face sublime, héroïque, et l’autre manipulatrice... Il y a toujours cette dualité, entre quelque chose qui tire vers l’épique, et quelque chose qui tire vers le sinistre.
Martin se livre à une critique virulente de tout ce qui a été sa vie pendant des années. On trouve aussi cette critique dans les romans de Roger Vaillant. Est-ce que vous vous y reconnaissez ?
Je les ai lus il y très longtemps, je ne suis pas sûr. Il y a une espèce de cynisme, chez Vaillant, que je n’aime pas tellement. Je sais que ça ne m’attire pas beaucoup. Je ne pense pas qu’il y ait dans mon livre une once de cynisme. Martin ne fait pas que se livrer à une critique implacable de sa vie passée. Il y est aussi attaché, à ce passé.
Le roman est aussi la recherche du père. Celui de Martin, et celui de Marie. Vous présentez la révolution comme un substitut à l’image paternelle, jusque dans les scènes de transgression, comme la tournée des bars, ou l’après-midi pédalos. Comme si cela maintenait dans une espèce d’image du père qui empêcherait les égarements, ou qui marquerait très fort les limites de la transgression. Est-ce que la révolution empêche de grandir ?
Les pères sont absents. Ils ne sont pas si obsédants que ça ! Ils sont morts...
Mais Gédéon, du coup, endosse cette image du père.
Oui, alors je crois plutôt que perversement, il y a dans la volonté de renoncer à soi, à tout ce qui nous définit comme individu (et qui est une des conséquences du désir révolutionnaire), il y a cet acharnement à dissoudre, à éradiquer ce qui fait de nous un "je", et il y a une espèce de compensation qui consiste à surinvestir un seul, un seul qui reçoit la fonction d’être superlativement un "je". C’est le "Grand dirigeant". Le "grand dirigeant" est une pensée, nous, tous les militants, nous acceptons de n’être plus rien, mais il faut que le chef soit tout. Donc c’est vrai... dans ce sens-là, ça empêche de grandir, oui ! Ça empêche de devenir un esprit indépendant, autonome, oui, bien sûr... Malheureusement, oui.
Peut-on voir la révolution comme une mise à distance du sexe ?
En tous cas, dans l’histoire que je raconte, oui. Il n’y a aucune nécessité intellectuelle à cela, mais par le fait, c’est ce qui se passe, et puis il y a de la haine de soi dans le dévouement révolutionnaire, dans l’héroïsme révolutionnaire. Cette guerre contre soi va jusqu’au bannissement du désir, du sexe qui est le refuge de ce qu’il y a de plus individuel en chacun de nous. Pratiquement oui, il y a de la répression et de la haine du sexe dans la révolution. Mais pourtant, ce n’est pas théoriquement indispensable. Théoriquement, il ne devrait pas y avoir de contradiction entre le sexe et la révolution, mais pas plus que théoriquement, ce n’est indispensable d’avoir un grand dirigeant. Et pourtant c’est comme ça que ça se passe.
Je pense que le désir révolutionnaire combat et parvient à étouffer le désir sexuel, et d’un autre côté, la peur devant le sexe est aussi probablement à l’origine de l’énergie militante. La sublimation, bien sûr. En tout cas, pour ces jeunes gens dont je parle, c’est certain. Ce n’était peut-être pas vrai pour de vieux bolcheviques en 1920 !
On trouve, tout au long du roman, des références à Marguerite Duras. Au delà des allusions au Barrage et à l’Indochine, que représente-t-elle pour vous ?
Elle est citée uniquement à propos du delta du Mékong... Ce n’est pas du tout un auteur important pour moi. Ce n’est pas non plus que je la mésestime, mais ce n’est pas un auteur important pour moi.
Dernière question, "people"... Pourquoi Trintignant, dans le rôle de Martin ?
Parce que j’aime bien Trintignant ! Et puis j’ai gardé, je ne sais pas pourquoi, le souvenir de ce western, assez bizarre qui s’appelait Le grand silence... Très peu connu, un western européen... Il jouait un type qui avait une cicatrice terrible parce qu’il avait été égorgé par les méchants. Et ça se termine très mal. Ça se passe dans la neige, dans le centre de l’Amérique, et à la fin, il est tué. C’est lui qui est tué, le justicier. Donc, évidemment, il y a la métaphore de la révolution assassinée, mais à part ça, j’aime bien Trintignant. Quand j’étais jeune, j’avais un peu envie de lui ressembler... Il avait un côté assez "mec" et à la fois taciturne et silencieux, qui me plaisait ! Ses trench coats me plaisaient aussi... Et puis c’est un acteur qui a son importance, aujourd’hui. Non, c’est un acteur que j’aime bien ! Je préfère Trintignant à Marguerite Duras !
Photo d’Olivier Rolin ©Hanna/Opale
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