Le 15 novembre 2024
- Réalisateur : Claude Lelouch
- Distributeur : Metropolitan FilmExport
Alors que son 51ème film, Finalement, est en salles depuis ce mercredi 13 novembre, Claude Lelouch, l’un des plus emblématiques réalisateurs du cinéma français, a accordé une interview à notre rédaction.
Claude Lelouch nous témoigne longuement de son parcours, mais aussi de son regard sur la vie, l’amour, la mort, le cinéma et la musique. Un entretien qui a d’ailleurs été réalisé dans le cadre du Festival de Cinéma et de Musique de Film de La Baule 2024, dont Claude Lelouch était l’invité d’honneur.
Voilà soixante ans que vous consacrez votre vie au cinéma. Qu’est ce qui vous pousse encore à raconter des histoires et à conserver un tel enthousiasme ?
J’aime la vie et j’ai envie de la faire aimer. Or, c’est parfois complexe d’aimer la vie. Elle peut être très contradictoire, voire cruelle. Pour autant, j’ai très vite compris que tout ce qui nous arrive, c’est pour notre bien. Même si c’est douloureux sur le moment. Pour ma part, tout ce qui m’a fait du mal m’a finalement fait du bien. Tout ce que j’ai réussi dans ma vie, je l’ai d’abord raté. Mes échecs m’ont davantage fait grandir que mes succès. Je ne suis rien d’autre qu’un observateur. Tout ce que j’ai filmé, je l’ai d’abord vu. Par ailleurs, j’ai un défaut : je ne sais pas garder un secret. Dès que je découvre quelque chose, j’ai envie de le partager avec quelqu’un. Le cinéma est un moyen extraordinaire pour transmettre mes observations. De plus, je suis curieux du genre humain. Il me fascine. C’est la dernière invention du grand metteur en scène. C’est même probablement sa plus belle invention, mais elle n’est pas encore au point. Et c’est parce qu’elle n’est pas au point qu’elle est fascinante. Il y a huit milliards de personnes sur Terre, cela donne huit milliards de scénarios. Toutes les vies sont passionnantes. Je travaille avec un seul scénariste : la vie. C’est même le meilleur de tous. J’ai un autre gros défaut : j’aime tout ; le chaud, le froid, la mer, la montagne, la ville, la campagne, les gens intelligents, et même les cons. Je suis un reporter de la vie, je n’ai peur de rien, surtout quand je suis derrière ma caméra. Mes films sont le résultat de tout cela et c’est vrai que j’ai été un peu le témoin de mon temps, des années 60 jusqu’à aujourd’hui.
Vos œuvres sont toujours dénuées de cynisme et pleines de bienveillance. Comment l’expliquez-vous ?
Je suis un adepte du positif. Je n’aime ni les films qui finissent bien, ni les films qui finissent mal. J’aime les films où il a de l’espoir. L’espoir est un acompte sur le bonheur. J’essaie aussi de faire des films du milieu. Les films d’auteurs trop auteuristes sont un peu chiants, et les films populaires trop populaires tapent un peu trop en dessous de la ceinture. J’essaie donc de faire des films populaires mais où l’on peut parler sérieusement de temps en temps. J’ai davantage appris en cour de récréation qu’en salle de classe. Or un film doit être avant tout une cour de récréation. Quand elle est réussie, on peut y injecter quelques idées qui nous semblent plus importantes que d’autres. Si L’aventure c’est l’aventure a été un si grand succès, c’est parce que ce film a d’abord été une cour de récréation formidable. Il dressait le portrait d’une époque. Et aujourd’hui, il entre encore en résonance avec la société contemporaine. Tous les personnages sont des connards, obsédés par le fric, mais il fallait s’y confronter pour expliquer les travers d’une société. Aujourd’hui, on a tendance à affirmer qu’on ne peut plus rien dire sérieusement. Moi, je pense qu’on peut tout dire, à condition de trouver la manière de le dire. C’est cela l’élégance : dire à quelqu’un ses quatre vérités, mais sans le tuer.
Autre élément incontournable de vos films : l’amour. Encore et toujours !
Et même plus que jamais. Je pense que c’est la seule chose qui n’a pas fait de progrès depuis la nuit des temps. Personne n’a encore trouvé le moyen pour que les histoires d’amour soient un peu plus longues que prévu. Elles sont trop courtes, comme toutes les bonnes choses. Anouk Aimée nous a récemment quittés après avoir consacré sa vie à l’amour. Elle disait toujours : « les secondes qui ne sont pas consacrées à l’amour sont des secondes perdues ». De telles paroles me confortent dans ma conviction profonde : tout le mal qu’on se donne dans la vie, c’est pour aimer et être aimé.
- Kad Merad, Claude Lelouch
- © 2024 Les Films 13 / Metropolitan FilmExport. Tous droits réservés.
Justement, lorsque vous avez perdu Anouk Aimée, vous avez écrit un très beau message dénué de toute tristesse. Il était même joyeux. Et vous aviez déjà procédé ainsi lorsque vous avez perdu d’autres proches comme Johnny Hallyday, Jean-Paul Belmondo ou Jean-Louis Trintignant. C’est un bel état d’esprit… mais plutôt rare !
Comme je me rapproche moi aussi de la sortie, j’ai envie de croire que la mort est la plus belle invention de la vie. Je pense même que c’est une récompense. En une seconde, tous vos emmerdes s’arrêtent. Et je crois au recyclage. Je ne crois pas à la mort comme une fin en soi. Même si je ne sais pas sous quelle forme on se recycle. J’aime à penser que, quelque part, on devient une sorte d’idée invisible. Et cette idée peut se planter où l’on veut. J’ai envie de croire que l’on est partout. Enfin, je pense que lorsque l’on part, le meilleur de chacun d’entre nous est conservé d’une façon ou d’une autre. C’est cela l’intérêt de la mort, on jette tout ce qui est mauvais à la poubelle, et on ne garde que le meilleur. Donc je ne crois pas à la mort telle qu’on peut l’appréhender. Tout cela est plein de contradictions mais c’est mon intime conviction. Nous avons tous un scénario sur l’après. Chacun de nous s’invente l’histoire qu’il veut.
Au cours de l’un de nos nombreux précédents entretiens, vous m’aviez déclaré que, selon vous, « la musique, c’est Dieu ». Difficile de dire plus beau que cela, mais pourriez vous développer votre pensée ?
Je pense que la musique n’a besoin d’aucune culture préalable. Les chansons oui, car il y a des paroles à concevoir. Donc il faut savoir lire et écrire. Mais la musique, ce sont des notes qui parlent à notre part d’éternité, à notre inconscient, mais ni à notre intelligence, ni à notre savoir. Un bébé peut écouter de la musique et se sentir apaisé. Je pense donc que Dieu nous parle à travers la musique. Encore une fois, c’est mon intime conviction. Le premier médicament que je prends quand je ne vais pas bien, c’est écouter un morceau de musique. Elle s’adresse à notre part irrationnelle qui nous dit qu’on est là pour toujours. L’irrationnel nous dit qu’on est immortel. Mais le rationnel a le sens des affaires. Et il a peur de tout. Alors que l’irrationnel n’a peur de rien. Notre inconscient agit comme un cascadeur. Les meilleurs conseils que j’ai reçus dans ma vie m’ont été donnés par le hasard. Il m’a amené là où mon intelligence m’interdisait d’aller. L’intelligence a peur de plein de choses. Elle nous empêche d’être des aventuriers. Alors que le hasard m’a fait vivre des choses que je n’aurais jamais imaginé.
Alors comment procédez-vous pour concevoir la musique de vos œuvres ?
J’enregistre systématiquement la musique de mes films avant de les tourner. Donc j’ai toujours raconté mes films à mes compositeurs successifs, Francis Lai, Michel Legrand, Ibrahim Maalouf. Je leur demande de me raconter la même histoire avec des notes de musique. Et je vois si ce qu’ils composent correspond à mon film ou non. Je suis un autodidacte, un cinéaste amateur, qui n’a jamais été dans une école de cinéma. Je fais des choses qui viennent d’un ressenti inexplicable. C’est pour cela que certaines personnes aiment mes films et que d’autres ne les aiment pas. Mon cinéma est irrationnel. Alors que les critiques s’accrochent au rationnel.
- Françoise Fabian, Kad Merad
- © 2024 Les Films 13 / Metropolitan FilmExport. Tous droits réservés.
Vous n’avez pas fait d’école de cinéma et pourtant, vous en avez créé une à Beaune…
Ce n’est pas une école, ce sont des ateliers. Je permets à des passionnés de cinéma de me suivre sur un tournage et c’est en regardant les gens exercer chaque métier qu’ils apprennent. Ils assistent à l’écriture, aux repérages, au casting, au tournage, au montage, au mixage. Nous en sommes à la cinquième promotion et ils ont tous du boulot. On se les arrache. C’est ma grande fierté.
Aujourd’hui, quel regard portez vous sur votre filmographie et votre parcours ?
Je suis heureux de constater que mes films ont laissé des traces. C’est la plus belle des récompenses. Récemment, un adolescent d’une quinzaine d’années m’a accosté dans la rue pour me dire que ses parents lui ont fait découvrir mes films et que désormais, il incite à son tour ses copains à les découvrir. Cela m’emplit de joie. Je suis si heureux d’avoir inconsciemment touché des générations entières. Et mon ego est assez flatté de constater que, de mon vivant, il y a des places Claude Lelouch à Deauville et à La Ciotat.
Finalement est votre 51ème long métrage. Sera-t-il le dernier ?
Avec ce film, j’avais envie de filmer la France. J’aime ce pays qui est, j’en suis convaincu, un des plus beaux du monde avec l’Italie et l’Espagne. J’ai fais le tour du monde à plusieurs reprises, et il n’y a pas plus beau que ces trois pays là. J’avais envie de dire merci à la France de m’avoir accueilli et de m’avoir rendu heureux. Et, effectivement, je l’ai intitulé Finalement car je pensais que ce serait le dernier. Mais ce film m’a donné envie de faire le suivant. Je l’intitulerai Finalement ça ne finira jamais (Rires).
Propos recueillis par Nicolas Colle
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