Réparer les vivants
Le 21 novembre 2024
C’est toute la beauté de ce film que de fonctionner en rhizome, où chaque personnage, chaque action ne sont que des réverbérations d’un seul et même destin : une terre gorgée par le sang et les chairs de tous ses cadavres.
- Réalisateur : Danya Reymond
- Acteurs : Camélia Jordana, Khaled Benaissa, Mehdi Ramdani , Shirine Boutella, Slimane Benouari
- Nationalité : Français, Belge, Algérien
- Distributeur : The Jokers
- Durée : 1h24mn
- Genre : Drame, Fantastique
- Date de sortie : 20 novembre 2024
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Résumé : D’étranges tempêtes de poussière jaune s’abattent sur la ville. Nacer, journaliste, couvre le phénomène pour son journal. Alors que les évènements inexpliqués se multiplient, sa femme Fajar réapparaît. Face à des vents de plus en plus menaçants et tandis que la ville semble sombrer dans la folie, Nacer devra dénouer un passé qui le hante.
« C’est par moi que l’on va dans la cité plaintive :
« C’est par moi qu’aux tourments éternels on arrive :
« C’est par moi qu’on arrive à l’infernal séjour. »
Dante, La Divine Comédie, chant III
Critique : Dès le premier plan, le film distille une étrange présence. Sous un ciel bleu, un souffle d’air secoue un fin tissu noir. Nous percevons bien que ce vent, même léger, n’est pas uniquement un phénomène naturel. C’est un présage qui ne cessera d’enfler, contaminant tout le monde et le film, jusque dans sa peau. Mais de quelle peau s’agit-il et surtout, qu’est-ce que ce présage ?
Pour son premier long métrage de fiction, la cinéaste franco-algérienne Dania Reymond Boughenou invoque et convoque les traumatismes que la terre algérienne porte encore avec, en son cœur, un homme pétrifié dans une incommensurable douleur causée par la perte de son aimée tragiquement tuée par le terrorisme.
Ambition sublime de la cinéaste qui réussit son pari par un choix formel de haute tenue, où la revisitation des traumas est tout autant celle de la nature (dérèglement climatique) que du temps – lui aussi déréglé par un présent figé, amorphe.
- Camélia Jordana
- © 2024 Cheval Deux Trois / La Petite Prod. Tous droits réservés.
Cet homme qui souffre est un journaliste, un survivant au cœur d’une vie ubuesque, où seule la famille semble encore tenir debout. Magnifiquement interprété par le comédien Khaled Benaïssa, Nacer, tel Orphée revenu seul de l’Enfer, déambule dans une ville sans citoyens. Le journaliste est une figure mythique du cinéma, il serait ce héros des temps modernes, incarnation de la justice et de la démocratie. C’est une réalité plus sombre en Algérie où tout journaliste est et demeure sous pression, entre censure, assèchement économique, emprisonnement, quand ce ne fut pas tout simplement des exécutions.
Mais pour Nacer, son enfer a un visage, celui qui a commandité le meurtre de sa femme Fajar. Il l’a enfin retrouvé, après l’avoir traqué durant de trop nombreuses années. C’est la première intrigue de ce film, qui s’annonce comme un polar vengeur. Or, dès cette séquence inaugurale, Nacer choisit de renoncer à la fureur de sa haine. Si la cinéaste ouvre son film par une fin presque réconciliée, les éléments ne renoncent pas, la prophétie est implacable : tout traumatisme se doit d’être exorcisé. Alors le vent se lève, la terre se jaunit et les morts reviennent. Et Fajar, celle qui a été tuée dans un faux barrage il y a presque vingt ans, revient à la maison, chez elle, auprès de Nacer.
- Khaled Benaissa
- © 2024 Cheval Deux Trois / La Petite Prod. Tous droits réservés.
Le récit ne cesse de bifurquer, à l’image de ce vent qui ne fait que souffler de plus en plus fort. La cinéaste esquisse ça et là des bouts de récit qui ont tous en commun d’être traversés par une double réalité : la mort n’est pas enterrée, la douleur doit s’apaiser.
Si Nacer est un homme doublement marqué, il a en face de lui son neveu, Yacine (le talentueux Mehdi Ramdani), un jeune médecin qui vaille que vaille tente de sauver les vivants. Mais la marée mortuaire est trop forte et, rongé par la culpabilité des survivants, il ouvre une brèche et communique avec les disparus. Tous deux expérimentent la trajectoire d’Orphée et d’Eurydice, mais en miroir. Si Fajar (Camélia Jordana) retrouve pour un temps son mari, Yacine, de plus en plus avalé par cette tempête jaune, sera sauvé par sa belle, Sharazade (Shirine Boutella).
Tout est inversé dans cet état du monde qui est le nôtre, et pas seulement en Algérie. Ni fable ni même parabole politique, ce film est un acte d’apaisement, opéré par une jeune femme née en Algérie et qui a porté en elle ses enfances comme ses fantômes. À peine âgée de onze ans, elle a dû quitter son pays pour fuir les ravages mortels de la guerre civile, et depuis elle n’a eu cesse de rassembler tous ces fragments intimes, violents, terrifiants, tus, toutes ces mémoires écrasées, fracturées pour nous les restituer afin de les voir enfin et de leur dire adieu, dans un immense geste d’amour. Raconter et puis avancer, enfin.
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