Le 23 juillet 2003
Rencontre avec Mathias Enard qui, à 31 ans, se consacre désormais à l’écriture...
Après Langues O (persan et arabe), un doctorat au CNRS section monde iranien et de longs séjours d’étude au Moyen-Orient (Iran, Liban, Egypte...), Mathias Enard, 31 ans, se consacre désormais à l’écriture (poésie, nouvelles et romans). Publié depuis quelques années de l’autre côté des Pyrénées (il vit à Barcelone et écrit couramment l’espagnol), il est moins connu en France où son premier roman, La perfection du tir, vient de sortir chez Actes Sud.
Pourquoi avez-vous choisi la figure du "sniper" comme personnage principal de votre roman ?
Je n’aime pas le mot "sniper". C’est un terme récent, apparu pendant la guerre de Bosnie, très médiatisé et très chargé émotionnellement. Le "sniper", c’est en gros le tueur serbe, bref, un monstre sanguinaire, une figure moderne du Mal. On n’a pas tout cela en tête quand on utilise les vieilles expressions comme "franc-tireur" ou encore "tireur d’élite. C’est pourtant le même métier, étrange mélange de soldat (le tir se fait dans un cadre précis, celui de la guerre) et d’assassin (en raison du rapport très particulier, bilatéral et proche via la lunette, entre le tireur et sa victime). J’ai évidemment accentué cette ambiguïté en faisant de mon personnage principal une sorte de "croisé" avec ses propres
"batailles" et ses "valeurs" à lui, même si elles paraissent bien maigres, étranges ou amorales au lecteur.
On a parfois l’impression que vous voulez "sauver" ce personnage...
Mais ce n’est pas moi qui le sauve, c’est le lecteur... Moi, ce que je voulais faire, c’est montrer comment la guerre - et a fortiori une guerre civile, aux frontières encore moins nettes - bouleverse le rapport entre un individu et le monde, entre l’intérieur et l’extérieur. Comment en vient-on à imaginer la paix aussi lointaine et irréelle en temps de guerre que la guerre en temps de paix ? Comment la trajectoire d’un tir de fusil devient une sorte de relation au monde, de lien social ? Comment le prix de la vie humaine est-il si brutalement dévalué ?
Vous décrivez la guerre, ses tactiques, ses matériels et son quotidien, avec beaucoup de réalisme. Avez-vous une expérience militaire ? Pratiquez-vous le tir, la chasse ?
Non, non (rires), rien de tout ça... Je me suis inspiré de nombreux témoignages ou récits d’anciens combattants de la guerre civile libanaise (1975-1987) et de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Pareil pour le tir : je ne tire pas, je ne chasse pas, je n’ai lu ni La position du tireur couché de Manchette (très beau titre, soit dit en passant...) ni un quelconque traité de tir à l’arc (ou au fusil) d’inspiration zen... Mais bon, si mes descriptions "entrent en résonance" avec ces références, tant mieux...
Par contre, la ville que vous décrivez reste vague...
Oui, bien sûr, pour des raisons allégoriques, même si quelques indices (les prénoms Zak, pour Zacharias, et Myrna) ou la topographie précise des quartiers désignent plus Beyrouth (où j’ai longtemps séjourné) que Sarajevo ou Vukovar. Mais au fond, peu importe, je ne suis pas un historien, ce qui m’évite aussi d’avoir à aborder les questions de "responsabilité" du conflit où je mets en scène mes personnages.
Le sujet de votre prochain roman ?
Je ne peux pas encore en parler. Ce qui est certain, c’est qu’il n’aura rien à voir avec la guerre. La guerre, c’est épuisant !
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