Chien de guerre
Le 23 juillet 2003
Il cale son souffle, fait corps avec la crosse, presse - lentement - la détente. Et les ombres humaines s’effondrent sans bruit dans la mire de sa lunette. Une plongée perturbante dans la psyché d’un jeune sniper.
- Auteur : Mathias Enard
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Nationalité : Française
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"Depuis mon toit je parcours les trottoirs, j’explore les fenêtres, j’observe les gens vivre. Ils ne savent pas que j’ai écouté les battements de leur cœur à travers le mien, que j’ai retenu toute émotion, que je me suis arrêté de respirer, juste avant de presser la détente." Soliloque d’un jeune tueur qui se pense en artiste, obsédé par la maîtrise du souffle, la perfection de la trajectoire, la beauté du tir. Rien à voir cependant avec le samouraï moderne décrit par Jean-Patrick Manchette dans La position du tireur couché. Ce sniper là n’a ni morale ni honneur, en dehors d’une maigre "éthique de chasseur" : éviter les coups trop faciles, techniquement déshonorants.
Dans une ville déchirée par la guerre civile (Dubrovnik, Beyrouth ? - peu importe, vraiment), où la question pourtant essentielle de la responsabilité du déclenchement du conflit a depuis longtemps sombré pour ses habitants dans des abîmes de terreur et de sang, "notre" flingueur va se poster chaque jour au sommet d’un immeuble, repère son territoire comme un faucon ivre et omniscient et lâche ses coups, magnanime ou vengeur, selon l’humeur du moment. L’irruption de Myrna, une jeune fille qu’il emploie pour prendre soin de sa mère devenue folle, va-t-elle lui suggérer la possibilité d’autres rapports humains, d’autres liens que ceux qu’il tisse brièvement dans la mire de sa lunette ? "La plupart de ceux que j’ai tués n’ont vécu que pendant les trois secondes où je les regardais. Ce sont des fantômes, des personnages, des masques. Je les fais vivre en les regardant, je les anime en les tuant."
Mathias Enard, 31 ans, fait preuve dans ce premier roman d’une exceptionnelle maîtrise. Il brosse une description ultraréaliste mais jamais complaisante de la guerre (vue comme une déesse ivre qui allume ça et là ses brasiers, hors de toute rationalité tactique) et, plus délicat, s’immerge dans la conscience d’un psychopathe ambigu et tourmenté, chien de guerre mis à bas et sevré par elle, étranger aux rares effervescences de la trêve, incompatible avec les douceurs de la paix et pourtant - irrémédiablement - humain. Un magnifique exercice d’empathie.
Mathias Enard, La perfection du tir, Actes Sud, 2003, 190 pages, 17 €
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