Le 8 novembre 2024
- Distributeur : Tandem
- Festival : Festival de Cannes 2024
À l’occasion de la sortie du film de Noémie Merlant, Les Femmes au balcon, le 11 décembre 2024, AVoir ALire s’est entretenu avec Evgenia Alexandrova, la cheffe opératrice.
Ce long métrage est à la fois coloré, horrifique, féministe, jouissif et jubilatoire. L’occasion pour la cheffe opératrice de revenir sur sa collaboration avec la réalisatrice, mais aussi d’évoquer son parcours et ses projets.
En préambule, pourriez-vous nous raconter votre parcours et ce qui vous a amené à travailler sur des tournages de films ?
J’ai grandi en Russie où mon père m’a transmis sa passion pour la photographie, avant que mes professeurs ne me fassent découvrir l’histoire du cinéma. Une œuvre comme Twin Peaks, de David Lynch, m’a touchée au plus profond de moi. J’étais passionnée par l’audiovisuel mais je n’envisageais pas encore d’en faire mon métier. D’autant plus qu’en Russie, le cinéma est une industrie extrêmement fermée. J’ai donc étudié en école de commerce avant de m’installer à Paris pour mon mastère à l’ESSEC. Puis en effectuant un stage au sein d’un grand groupe, j’ai compris que j’avais besoin de mettre du sens dans ce que j’entreprenais, dans ma vie personnelle comme professionnelle. J’avais la chance de vivre en France, un pays qui respecte la liberté individuelle, où une femme n’est pas obligée de se marier et d’avoir des enfants à vingt-cinq ans. J’y avais le droit de m’y chercher et de ne pas avoir toutes les réponses dans l’immédiat. Je suis donc revenu à mon amour du cinéma lorsque j’ai rencontré et échangé longuement avec un scénariste qui m’a expliqué l’ensemble des métiers de l’industrie, dont celui de chef opérateur qui consiste à créer l’humeur visuelle d’une œuvre cinématographique. J’ai tout de suite été attirée par l’aspect à la fois technique, pratique, artistique et concret de ce travail. C’est ainsi que j’ai intégré le département image de la Fémis.
Comment en êtes-vous arrivé à collaborer avec Noémie Merlant sur son premier long métrage en tant que réalisatrice, Mi iubita, mon amour ?
Raphaël Vandenbussche, le chef opérateur de Shakira, le court métrage de Noémie, était un de mes camarades de promotion à la Fémis. C’est lui qui nous a mis en relation. Nous nous sommes senties profondément connectées dès notre première rencontre. À tel point que, un mois plus tard, nous prenions la route ensemble vers la Roumanie pour y tourner Mi iubita, mon amour. Nous n’étions que deux techniciennes, Armance Durix, l’ingénieur du son, et moi-même.
- © 2024 Nord-Ouest Films, France 2 Cinéma. Tous droits réservés.
Comment parvient-on à rendre un film aussi gracieux et lumineux avec si peu de moyen et une équipe aussi réduite ?
J’ai utilisé une caméra documentaire mais avec des optiques très sensibles qui m’ont permis de ne pas obtenir un rendu trop numérique à l’image. Nous avons tourné en quatorze jours seulement et en effectuant très peu de prises afin de saisir au mieux la vie et le réel de chaque situation. Cela a rendu le film incroyablement authentique. C’est une œuvre spontanée. Un vrai geste de cinéma… et d’amour.
Vous avez récemment retrouvé Noémie à l’occasion de son deuxième film, Les Femmes au balcon, qui a fait sensation au dernier Festival de Cannes. En quoi votre collaboration a t-elle évolué sur ce nouveau projet ?
Nous avons échangé tout au long du processus d’écriture durant deux ans. J’ai lu chaque version du scénario jusqu’à celle définitive, coécrite par Céline Sciamma qui a contribué à rendre plus claires les lignes narratives de chaque personnage. Noémie a un style très visuel, elle s’inspire aussi bien de films que de peintures ou de photographies. Pour Les Femmes au balcon, elle souhaitait mettre en place une ambiance visuelle évoquant aussi bien les films de Pedro Almodóvar que ceux d’Alfred Hitchcock, comme Fenêtre sur cour, ou encore le cinéma asiatique avec des atmosphères comme celle d’In the Mood for Love de Wong Kar-wai. Orange mécanique de Stanley Kubrick était également une grande référence visuelle. La direction artistique de Noémie consistait à pousser tous les curseurs à fond, que ce soit sur la lumière, les cadres ou les couleurs. Pour autant, il lui arrivait d’improviser en direct sur le plateau. Évidemment, le dispositif de tournage n’était pas le même que sur Mi iubita, mon amour car nous avions une équipe de tournage bien plus conséquente, mais Noémie aime se confronter à la réalité du plateau. Moi aussi d’ailleurs. Même si on prépare un film en amont du tournage, j’aime quand tout n’est pas totalement sous contrôle et parfaitement maîtrisé. Il faut savoir rester ouvert à ce qui se passe et se tenir prêt à filmer quelque chose d’inattendu. J’aime que le hasard me surprenne. Noémie et moi partageons cet état d’esprit.
Avez-vous travailler sur un autre film depuis ?
J’ai tourné cet été au Brésil le dernier long métrage de Kleber Mendonça Filho, le réalisateur de Bacurau. Cela a été une expérience hors norme. J’ai du fédérer mon équipe en amont du tournage en leur expliquant au mieux les envies du réalisateur afin qu’en arrivant sur le plateau, nous puissions nous adapter aux nouvelles idées de mise en scène. C’est ainsi que les équipes peuvent gagner en autonomie.
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Et vous sentez-vous prête à réaliser désormais votre premier long métrage ?
C’est complexe. Je manque encore de légitimité. Souvent, on vous demande de raconter la vie dans nos films mais lorsqu’on est jeune, on n’a pas nécessairement tant de choses que cela à raconter car nous manquons de vécu. C’est le problème de certains artistes qui ont une approche trop intellectuelle du cinéma et créent des films très conceptuels mais vident de sens et de vie. Ils ne font que discuter de cinéma à longueur de journée et surenchérissent en permanence sur ce sujet. Or, pour réaliser un film, il ne faut pas seulement se nourrir du cinéma. Au contraire, il faut voyage, lire, découvrir d’autres arts et s’enrichir de la vie.
Vous avez néanmoins réalisé deux documentaires et un court métrage de fiction… c’est un bon début !
Et ils sont intimement liés entre eux. Mon premier documentaire, Svalbard, était mon film de fin d’études. Je suis parti au pôle Nord afin de filmer la vie au sein de la ville la plus nordique au monde. Ce voyage m’a bouleversée. C’est aussi à cette époque que j’ai développé une réelle passion pour l’espace et les trous noirs. Notamment avec la sortie en salles d’Interstellar. Cet aspect métaphysique de l’espace, ce côté vertigineux, ce voyage mental qu’il peut engendrer, m’envoûte. En me renseignant, j’ai découvert qu’il existait une sorte de station spatiale au sein du désert de l’Utah où l’on simulait la vie sur Mars. Je me suis rendue sur ce lieu durant deux semaines. On portait des scaphandres chaque fois que l’on sortait à l’air libre. On conduisait des rovers. J’ai filmé toute cette expérience et cela a donné lieu à mon deuxième documentaire, Wanderers, qui a été acheté par France 3. En échangeant avec les personnes que j’ai côtoyées là-bas, j’ai eu envie d’écrire sur ceux et celles qui rêvent d’un ailleurs. C’est ainsi que j’ai réalisé mon court métrage, Le Télescope d’Einstein. L’histoire suit une astrophysicienne qui se rend au pôle Nord afin d’étudier les trous noirs car elle est hantée par la perte d’un être cher qui a disparu dans l’espace.
Tous ces voyages nourrissent déjà une riche histoire personnelle, la votre en l’occurrence. Votre parcours de vie ne vous donne t-il pas des idées pour écrire une fiction de long métrage ?
J’éprouve des sensations, des sentiments, que je pense pouvoir raconter dans un film mais il faut que je puisse trouver la dramaturgie adéquate. Pour cela, il faudrait que je sois accompagnée par une scénariste. J’aimerais écrire sur le fait de se rencontrer soi-même. Une notion qui me parle beaucoup depuis que j’ai quitté la Russie. L’histoire que je veux écrire serait celle d’un personnage fermé au monde mais que la vie va faire sortir de sa coquille, en le forçant à se rencontrer soi-même à travers les autres. Pour ma part, je n’ai jamais été aussi heureuse qu’aujourd’hui. Je me suis sentie complètement déracinée lorsque j’ai quitté la Russie et que je ne me sentais pas encore chez moi en France. Désormais, j’ai compris que mon chez moi était intérieur, en moi-même. J’ai entrepris tellement de voyages, fait tellement de rencontres, que je me sens toujours chez moi quelque part.
Propos recueillis par Nicolas Colle
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