Le 12 mars 2003
Entre roman et histoire, vérité et mensonge, Dominique Fernandez parle de création et d’écriture, autour de quelques questions.
Avec La course à l’abîme, son dernier roman, Dominique Fernandez nous offre une fabuleuse autobiographie du Caravage, assaisonnée du souffle épique des grandes épopées. Traversée des apparences et des zones d’ombres d’un des peintres les plus fascinants et mal connus de l’histoire, la démarche a aussi à voir avec une certaine conception du romanesque, et au-delà, de l’écriture.
Pour le Caravage, le processus créatif n’est possible que dans la transgression ; vous évoquez "le frisson permanent du danger". Pensez-vous que cette mise en danger soit une condition nécessaire à l’acte créatif ?
Oui, je pense. Toutes les oeuvres intéressantes transgressent quelque chose. Que ce soit politique, sexuel, religieux. Le Caravage était un grand transgresseur. Lui même était homosexuel à une époque où on pouvait être brûlé pour cela. Il avait une vie très scandaleuse. Il avait des amants qu’il peignait. Il a toujours transgressé, mais en même temps, il voulait faire carrière. Donc pendant longtemps, il a su doser. Peindre des tableaux acceptables. Puis à un certain moment, quand est venue la gloire, ça a basculé dans l’irrecevable. Exprès, à mon avis, il faisait des choses scandaleuses qui l’ont amené à cette fin tragique.
L’histoire est celle d’un apprentissage, d’une initiation, d’une avancée vers la connaissance.
Reconnaissez-vous l’inscription de ce roman dans une tradition picaresque ?
Dumassienne, je dirais. Parce que j’admire Alexandre Dumas. Je suis un des rares écrivains qui reconnaisse que Dumas est un grand écrivain. C’est un roman d’aventure, un roman d’action. Je ne suis pas un théoricien. Je me suis identifié au Caravage, à cet homme qui me passionne. Autant l’homme que l’oeuvre, c’est rare. J’admire le peintre, mais l’homme, même s’il n’avait pas peint, aurait été passionnant. Cet homme qui tue, qui est tué, c’est tout de même extraordinaire. Il cherche les ennuis, précipite sa propre destruction et en même temps fait des chefs-d’oeuvre.
La métaphore du tableau de Léonard de Vinci renvoie aussi à l’histoire, au roman. Ce tableau copié si scrupuleusement que seul le Maître pouvait les différencier, à tel point qu’on finit par ne plus savoir reconnaître le vrai de sa copie. L’histoire qui se raconte est-elle moins belle si elle est inventée ?
Elle est inventée, cette histoire de Léonard de Vinci. Mais on sait par exemple que Vermeer a fait des tableaux religieux. Avant guerre on a retrouvé des Pélerins d’Emmaüs. De grands experts l’ont authentifié, exposé à Rotterdam. Après guerre, un peintre vivant a révélé qu’il avait lui même peint ce tableau. Du coup, cette même oeuvre que tout le monde admirait lorsque "c’était" un Vermeer a perdu toutes ses qualités. Ça me fascine, cette histoire des vrais et des faux tableaux.
De même pour le scandale de Malte, dont on n’a pas de traces, je l’ai compris en voyant le tableau. Ce portrait d’Alof de Vignacourt et du page. J’ai construit l’histoire à partir du tableau. On ne sait rien. On sait que Le Caravage a été dégradé et mis en prison, mais dans l’acte du procès, on ne mentionne pas la cause, tellement c’était scandaleux. C’était pire que d’avoir tué quelqu’un.
Dans le roman, il y a 20% de faits prouvés et 80% d’imagination, parce que Le Caravage est quelqu’un sur qui on ne sait rien. Je suis sûr que je dis la vérité, mais ce n’est pas prouvé.
Quel rôle tient le personnage de sainte Thérèse d’Avila, dans le roman ?
On ne sait rien sur le Caravage. Alors je me suis dit, qui a-t-il pu rencontrer ou lire ? Qui étaient ses contemporains ? Thérèse est morte en 1582, l’enfant avait onze ans. C’est un événement qui, j’imagine, a retenti dans toute l’Europe. Je suppose donc qu’il a lu la vie de Thérèse, ces pages extraordinaires où elle reçoit la visite de l’ange, des pages mystico-érotiques où elle raconte comment elle fait l’amour avec cet ange, parle du trouble physique qui est comme un orgasme. C’est tellement caravagesque, ce mélange de sensualité et de religion, que j’imagine que ce livre l’a accompagné toute sa vie. Ces textes sont d’une indécence inouïe ! Je ne sais pas comment on l’a canonisée !
Jusqu’à quel point l’art permet-il d’accéder à la connaissance de soi ?
Jusqu’à tous les points ! J’écris, non pas pour me connaître, mais c’est un moyen d’être. Je ne peux pas me passer d’écrire. Si je n’écris pas je me sens partir à la dérive. C’est peut-être une psychanalyse continuelle... Je déteste la psychanalyse mais sa nécessité, c’est cette thérapie : échapper au désordre qui est naturel chez tout le monde, l’éparpillement. Je n’existe que dans la mesure où j’écris. C’est un acte de salut quotidien.
Photo Dominique Fernandez ©Ferrante Ferranti / Grasset 2003
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