Clair-obscur
Le 6 mars 2003
Le Caravage dans tous ses états. Magnifique.
- Auteur : Dominique Fernandez
- Editeur : Grasset
- Genre : Roman & fiction
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Une autobiographie imaginaire pour tenter d’effleurer les ambiguïtés de l’enfant terrible de la peinture italienne. Le Caravage dans tous ses états. Magnifique.
À travers les quatre livres qui composent La course à l’abîme, Dominique Fernandez nous offre une vision toute personnelle du Caravage, un parcours possible, une interprétation vivante de l’oeuvre représentée. Le lecteur, qui se laisse prendre avec plaisir au jeu de la fiction, assiste à la naissance du peintre, à la montée de sa renommée, à sa fureur devant l’imposture de sa gloire et à sa chute, qui se veut inévitable. La relation des aventures et revers de fortune de l’artiste s’ouvre en effet sur sa fin brutale et inexpliquée, comme si, pour respecter le silence de celui qui, de son vivant, n’a jamais ni théorisé son oeuvre ni commenté sa vie, l’auteur n’avait voulu donner la parole au peintre que par le truchement d’une narration posthume. Le silence de l’un devient le pari de l’autre.
Pari réussi puisque, à travers son commentaire des tableaux caravagesques, Fernandez s’amuse à inventer une vie qui n’a pour pour point d’ancrage que l’oeuvre accomplie. Et comme pour rendre un dernier hommage à celui qui innova en prenant pour modèle l’homme en lui-même et non plus sa représentation statique et antique, l’auteur fait revivre les toiles du peintre en les inscrivant à l’intérieur d’une histoire autre que celle, figée, de l’art. L’oeuvre du Caravage devient, sous la plume de l’auteur, l’expression de la vie de Merisi. Son histoire personnelle, jalonnée d’aventures et de mésaventures, de luttes et d’obessions, explique l’érotisme de ses toiles.
L’oeuvre se mêle ici au corps, avec sa part d’ombre et de lumière, ses failles et défaillances, ses plaisirs et ses excès. Les tableaux créés, le contraste des couleurs choisies, la cruauté des scènes deviennent le prolongement du désir qui habite et tourmente l’homme. Fernandez nous trace le portrait d’un peintre déchiré entre la gloire et le bruit que tour à tour son oeuvre attire et attise, entre la nécessité d’un quotidien réconfortant qui lui permet de réaliser son oeuvre et l’appel de la chair qui seul parvient à catalyser sa force créatrice.
L’analyse et la description minutieuse des tableaux du Caravage, couplées à la force du détail historique, contribuent au réalisme de cette autobiographie inventée. Tout comme la distinction entre la vie et l’oeuvre, qui ne cesse d’être mise de l’avant tout au long du roman, se fait fragile, la frontière entre la fiction et la réalité tend à disparaître au fil de la lecture. La course à l’abîme nous offre une histoire du Caravage à laquelle on se plaît à croire et jette sur les toiles du peintre un éclairage nouveau, fait de clair-obscur.
Dominique Fernandez, La course à l’abîme, Grasset, 2003, 23 €
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