Le jeu du double "je"
Le 16 janvier 2011
Cet ovni cinématographique qui dynamite joyeusement le contrat du quotidien retrouve la magie et la force poétique du cinéma frontal des origines.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Isabelle Huppert, Jean-François Stévenin, Robinson Stévenin, Arielle Dombasle, Bulle Ogier, Manuel Blanc, Tim Fischer
- Genre : Comédie dramatique, Musical
- Nationalité : Français, Portugais
- Date de sortie : 13 novembre 2002
- Plus d'informations : http://www.centrepompidou.fr
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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– Durée : 2h01mn
Cet ovni cinématographique qui dynamite joyeusement le contrat du quotidien retrouve la magie et la force poétique du cinéma frontal des origines.
L’argument :Magdalena et Maria sont deux soeurs jumelles qui ne se connaissent pas, car elles ont été séparées à la naissance. Maria grandit dans un pensionnat de jeunes filles. Elle fugue et devient chanteuse dans les cafés et les cabarets de Marseille.
Magdalena, elle, vit chez ses parents adoptifs. Adulte, elle travaille dans une galerie d’art du Marais et se passionne pour les faits divers.
Anna, leur mère d’origine portugaise, émigrée à Arles, multipliait les relations amoureuses de courte durée. Enceinte, elle les a abandonnées trois mois après leur naissance. Elle ne leur a laissé qu’une seule trace d’elle : une carte postale du château de Sintra envoyée du Portugal à l’une et à l’autre...
Notre avis : Lorsque, en mai 2002, Werner Schroeter présente Deux à la Quinzaine des réalisateurs son précédent film de fiction, Malina, remonte à plus de dix ans et le nouvel opus fait figure d’ovni cinématographique, déconcertant une bonne partie de la critique. Il n’aura d’ailleurs qu’une carrière en salle des plus modestes à sa sortie en novembre de la même année. Certes, pendant tout ce temps, Schroeter n’est pas resté inactif, chose d’ailleurs inconcevable chez ce dépressif à l’énergie inépuisable. A côté des magnifiques Poussières d’amour et Die Königin , qui sont davantage des essais poétiques que des documentaires au sens strict, il a mis en scène un nombre impressionnant de pièces de théâtre et d’opéras.
Comme tous ses films, Deux est une autobiographie imaginaire empruntant la forme ludique d’un collage poétique qui récuse à la fois la linéarité du récit et la psychologie, allant même jusqu’au refus de la notion même de personnage, celui-ci pouvant se métamorphoser et se démultiplier à l’infini. Isabelle Huppert le dit mieux que personne : j’ai eu l’impression, pour reprendre une expression de Sarah Kane, d’être, comme elle se traite elle-même, "un hermaphrodite en morceaux". Je me suis laissé morceler, désosser, reconstituer. [1]
Dans le documentaire Tentatives d’amour, précieux témoignage du travail théâtral de Schroeter réalisé en 2002 par Claudia Schmid et Birgit Schulz, le cinéaste dit encore une fois son admiration pour l’actrice-caméléon à qui il peut tout demander (par exemple de chanter si gracieusement mal [2]) et qui peut l’accompagner dans toutes ses folies sans jamais se perdre. Son interprétation, ou plutôt sa performance, est une fois de plus stupéfiante, car totalement enjouée et étrangère de toute hystérie.
Les autres participants, Bulle Ogier, Arielle Dombasle, Zazie de Paris ou encore le chanteur Tim Fischer en Josephine Baker, jouent avec la même absence d’arrière pensée, la même candeur enfantine et cruelle leur partition dans ce coq à l’âne qui brasse tout : l’amour, la guerre, le roman familial, les faits divers sanglants, le spectacle, l’identité sexuelle, les utopies politiques et les massacres qu’elles entraînent.
Car la mort, le grand oiseau noir de la chanson de Ludwig Hirsch Großer schwarzer Vogel qu’on entend dans les dernières scènes, est bien sûr omniprésente dans Deux, film parsemé de citations de Lautréamont. C’est elle la pièce maîtresse de ce jeu visuellement éblouissant et toujours surprenant qui dénonce le contrat du quotidien (dixit Schroeter) [3] et dynamite nos habitudes en retrouvant, dans sa forme même, l’émerveillement du cinéma des origines, un cinéma frontal qui ignore superbement le raccord pour faire s’entrechoquer les blocs de poésie pure (et de musique bien entendu).
[1] Propos recueillis par D. Heymann, Marianne, 21/10/2002 et cités dans le programme de la Rétrospective Werner Schroeter à Beaubourg.
[2] Entretien publié dans Libération le 13 novembre 2002.
[3] Citation extraite du documentaire de Claudia Schmid et Birgit Schulz.
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Frédéric Mignard 16 janvier 2011
Deux - La critique
Un pur bonheur, entre absurde désabusé et opéra-bouffe grotesque. Isabelle Huppert se met comme toujours en danger dans des territoires cinématographiques où nulle autre star n"oserait s’aventurer. Encore une fois, quel bonheur !