La douloureuse joie de chanter
Le 14 janvier 2011
Dans ce formidable documentaire musical à la première personne Werner Schroeter explore le mystère du chant et de ses relations avec la mort et l’amour en dialoguant avec des artistes lyriques et en les faisant chanter.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Isabelle Huppert, Carole Bouquet, Trudeliese Schmidt, Jenny Drivala, Anita Cerquetti, Martha Mödl
- Genre : Documentaire, Musical
- Date de sortie : 10 décembre 1997
- Plus d'informations : http://www.centrepompidou.fr
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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– Titre original : Abfallprodukte der Liebe
– Durée : 2h12mn
Dans ce formidable documentaire musical à la première personne Werner Schroeter explore le mystère du chant et de ses relations avec la mort et l’amour en dialoguant avec des artistes lyriques et en les faisant chanter.
L’argument :Trois divas dans un cadre, l’abbaye de Royaumont, une ville, Düsseldorf, et avec une règle du jeu : travailler un air choisi par le réalisateur, accompagnées pendant deux jours de la personne qui leur est la plus proche.
Notre avis : La passion pour le chant lyrique a toujours occupé une place centrale dans la vie et dans l’oeuvre de Werner Schroeter. Il a mis en scène nombre d’opéras et ses films sont hantés par les voix des grandes cantatrices, à commencer bien sur par celui dont le titre même évoque la figure légendaire de Maria Malibran.
Cette passion pour le chant est indissociablement liée à l’expérience de l’amour et à celle de la mort. Il a souvent raconté qu’alors qu’il avait treize ans la voix de Maria Callas, entendue à la radio, lui avait sauvé la vie après le suicide d’un ami. Et c’est à la suite de la mort de son compagnon qu’il entreprend le tournage de ce Poussières d’amour, film à la première personne dans lequel il s’expose bien plus à l’écran que dans ses autres documentaires.
Le titre allemand, Abfallprodukte der Liebe (déchets ou produits de récupération de l’amour), s’il est moins immédiatement poétique que le titre français, cerne sans mieux le sujet. C’est une conviction profonde que Schroeter veut vérifier par l’exemple dans ce film : l’émotion, le frisson, l’extase même que peut provoquer la voix d’un chanteur tient à ce que son chant parvient à exprimer de son désir d’approcher l’autre, de sa quête de l’amour sous toutes ses formes.
Il a donc fait venir, en novembre 1995, dans le cadre suggestif de l’abbaye de Royaumont, puis à Düsseldorf, des chanteurs qu’il admire, si possible avec leurs compagnons de vie, pour parler de manière très personnelle du rôle qu’occupe leur art dans leur relation aux autres et à la mort.
Les plus jeunes sont souvent des artistes avec qui il a eu l’occasion de travailler et on sent toujours qu’il existe entre eux et lui une forte complicité qui permet d’aller tout de suite à l’essentiel. Mais Schroeter, nullement intimidé, instaure la même relation d’égal à égal avec les trois immenses légendes du chant que sont Martha Mödl, Rita Gorr et Anita Cerquetti.
l’exercice d’admiration est à mille lieux de la dévotion confite. Schroeter n’hésite pas à filmer les ratés (Laurence Dale s’égosillant dans un air de Werther, les soeurs Katherine et Kristine Ciesinski faisant tomber un élément de décor pendant qu’elles chantent un merveilleux duo de Béatrice et Bénédict). Mais au diable la perfection ! Martha Mödl fait remarquer que de son temps on était beaucoup moins obsédé par les défauts et par la technique irréprochable que de nos jours et que Furtwängler, par exemple, n’était pas spécialement pointilleux (Il n’y regardait pas de si près). La séquence où on la voit écouter, ébahie, son propre enregistrement de l’air Komm o Hoffnung de Fidelio avant de faire remarquer comment le chef ne cesse d’accélérer et de ralentir les tempi est un des innombrables moments magiques du film.
Il faut aussi la voir donner des conseils à Isabelle Huppert se lançant témérairement à l’assaut d’un air de Mozart beaucoup trop difficile et lui recommander de ne pas chanter aussi droit.
Tous les participants de ce film magique crèvent l’écran, qu’ils chantent Bizet, Cherubini, Verdi, Tchaïkovski, Puccini, Kurt Weill ou Alban Berg. Mais les stars incontestées du film sont la rayonnante Martha Mödl, modeste et déterminée, 83 ans mais l’oeil toujours pétillant, et l’irrésistible Anita Cerquetti, formidable bête de scène même dans la vie de tous les jours, qui a arrêté de chanter à 30 ans, en 1961, après une carrière météorique, mais a conservé une prodigieuse vitalité (la patience - j’en ai toujours eu très peu) et un humour à toute épreuve (Tu veux me faire chanter alors que je n’ai plus de voix). Elle bouleverse quand elle dit quelle joie lui procurait le chant (cantare era une goia) et quelle douleur (ma un dolore contenuto) lui cause chaque jour le fait de ne plus chanter.
Schroeter qui n’a jamais mis l’art sur un piédestal mais l’a toujours considéré comme indissociable de la vie, même dans ses aspects les plus triviaux, n’hésite pas à couper les airs, à les interrompre pour les reprendre plus tard, à insérer des plans du parc ou du cimetière vu depuis une tour de la Défense. Son film, pétri de mélancolie et qui ne cesse de parler de la mort, est traversée par une joie irrépressible et contagieuse.
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