Le tango de Shakespeare
Le 11 janvier 2011
Verdi et Shakespeare se rencontrent sur un air de tango dans ce spectacle étrange et jouissif qui fait pivoter la tragédie et la transforme en revue de cabaret.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Magdalena Montezuma, Sigurd Salto, Annette Tirier, Susi, Stefan von Haugk, Michael Bolze
- Genre : Drame, Musical, Théâtre
- Nationalité : Allemand
- Plus d'informations : http://www.centrepompidou.fr
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg
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– Durée : 1h
Verdi et Shakespeare se rencontrent sur un air de tango dans ce spectacle étrange et jouissif qui fait pivoter la tragédie et la transforme en revue de cabaret.
L’argument :Tiré de la pièce de Shakespeare et du livret de l’opéra de Verdi, ce film pour la télévision, entièrement tourné en studio, met en scène le destin de Macbeth qui, revenu victorieux de guerre, tue le roi Duncan, hérite de sa couronne mais fini rongé par la peur et le remords.
Notre avis : Ce Macbeth, produit par la télévision de Hesse, est le pendant d’une autre adaptation de la pièce de Shakespeare réalisée au même moment par Rosa von Praunheim. Celui-ci emmena son équipe aux Cornouailles pour y tourner en 16mm, en extérieur et en anglais une version respectant le texte original de la pièce. Schroeter choisit une option radicalement différente : il filma en vidéo 2 pouces et entièrement en studio à Francfort quelques scènes clés du drame, traduites en allemand, en les confrontant aux passages correspondants de l’opéra Macbetto de Giuseppe Verdi.
Le tournage en studio et en vidéo permet à Schroeter de tourner le dos au réalisme et de jouer à fond le jeu de l’artifice, forçant les couleurs, démultipliant l’image, utilisant, comme élément principal de sa scénographie un escalier en métal sur lequel il fera courir une armée de souris blanches lorsque Lady Macbeth le descendra au milieu d’un nuage de fumigènes dans sa grande scène de folie.
Mais plus encore que sur les couleurs et les costumes (Annette Tirier porte une réplique du manteau et du chapeau de Maria Callas dans le Bal masqué de 1957 à la Scala) c’est sur le traitement du son et en particulier des voix que porte encore une fois le travail de Schroeter. En effet celles-ci sont le plus souvent dissociées des corps qui font alors l’effet de pantins de ventriloques, la voix parlée de Macbeth passant même indifféremment d’un corps à l’autre puisque trois acteurs interprètent le rôle (Susi, Stefan Haugk et Michael Bolze), apparaissant souvent à l’écran en même temps.
A d’autres moments c’est par les voix de chanteurs d’opéra que les corps sont habités. Mais le plus étonnant ici sont les passages au son direct lorsque Schroeter demande à ses acteurs de chanter des arrangements des airs de Verdi (pour quatuor de violon, accordéon, hautbois et piano) et que leur technique vocale insuffisante les fait s’égosiller péniblement. Ainsi Annette Tirier (Lady Macbeth), fixant la tache de sang qu’elle est seule à voir, n’hésite pas, poussée par son metteur en scène, à se lancer à corps perdu dans une reprise du redoutable une macchia è qui tuttora après l’avoir mimée une première fois sur la voix de Maria Callas. La comparaison est évidemment écrasante mais on ne peut qu’admirer le cran de l’actrice allant bravement au bout de l’épreuve avec une espèce d’inconscience butée qui dépasse très vite le stade du ridicule pour atteindre à une forme de sublime.
Ce traitement a évidemment pour effet de désacraliser à la fois le texte de Shakespeare et la musique de Verdi, le motif enlevé du banquet se trouvant même transformé en tango sur lequel dansent les protagonistes. Mais loin de chercher à tourner les oeuvres en dérision, l’opération vise à les revivifier comme le déclarait Schroeter lui-même (à Noël Simsolo, Zoom, n° 16, janvier-février 1973) : Le public n’aime pas qu’on lui montre Shakespeare de cette façon. Mais moi, je ne fais pas de différence entre Kitsch et Culture. [...] Il est stupide de chercher les valeurs traditionnelles de l’art et de la culture, il faut seulement en chercher l’esprit vivant.
En retournant la tragédie en comédie ou en revue de cabaret, en faisant intervenir Magdalena Montezuma telle un choeur muet commentant l’action au moyen de la pantomime, le cinéaste (et homme de théâtre) se rapproche des expériences contemporaines de Carmelo Bene, l’un comme l’autre demandant l’impossible aux acteurs et parvenant à les faire venir, pour reprendre l’expression utilisée par Schroeter conversant avec Philippe Garrel dans le film Les ministères de l’art. Pour le spectateur, l’expérience est parfois inconfortable mais parfaitement jouissive.
(Annette Tirier dans Macbeth et Maria Callas en Amelia d’Un ballo in maschera, photo utilisée dans Eika Katappa).
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