Flambée viennoise
Le 7 janvier 2011
Dans cette éblouissante adaptation du roman d’Ingeborg Bachmann Schroeter offre un rôle en or à Isabelle Huppert et flambe le plus gros budget de sa carrière sans rien renier de son style et de sa liberté créatrice.
- Réalisateur : Werner Schroeter
- Acteurs : Isabelle Huppert, Mathieu Carrière, Can Togay, Isolde Barth, Peter Kern
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Allemand, Autrichien
- Date de sortie : 13 novembre 1991
- Plus d'informations : http://www.centrepompidou.fr/Pompid...
- Festival : Rétrospective Schroeter à Beaubourg, Festival de Cannes 1991
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– Durée : 2h05mn
Dans cette éblouissante adaptation du roman d’Ingeborg Bachmann Schroeter offre un rôle en or à Isabelle Huppert et flambe le plus gros budget de sa carrière sans rien renier de son style et de sa liberté créatrice.
L’argument :Prise entre deux hommes, Malina, son ange gardien ou peut-être son double masculin, et Ivan, son amour impossible, une femme, philosophe et romancière, se consume par le feu de son intelligence, de sa liberté sans limites et de sa difficulté à créer qui déchaînent une passion dévorante et folle, jusqu’à l’autodestruction.
Notre avis : Adapter au cinéma Malina (1971) l’unique roman d’Ingeborg Bachmann (1926-1973) figure majeure de la littérature autrichienne du vingtième siècle, était une gageure. En effet cette autobiographie imaginaire se présente comme un collage plus poétique que narratif de fragments de récits, de lettres, de fausses interviews, de scènes dialoguées ou encore de descriptions oniriques, et ne se prête guère à un traitement dramatique classique.
Pourtant ce film à gros budget, tourné à Vienne, Berlin et Munich entre juin et août 1990 et inondé de prix à sa sortie en Allemagne, échappe totalement aux pièges inhérents à ce genre de coproductions de prestige qui ignorent les particularités d’écriture des oeuvres adaptées pour les réduire à leur trame et les ravaler aux rang de romans photos décoratifs mais indigestes.
Il est vrai que la combinaison des talents de Werner Schroeter, d’Isabelle Huppert et d’Elfriede Jelinek semblait écarter d’emblée tout risque d’illustration académique.
On sait quelle vision impitoyable de l’Autriche et des relations humaines transparaît dans les écrits de Jelinek, auteure du roman La pianiste - Die Klavierspielerin et prix Nobel de littérature en 2004, rappelons-le. La causticité de son écriture s’accorde bien avec celle de Bachmann, non moins acérée mais infiniment plus lyrique.
Son scénario reste très proche du roman et n’hésite pas à le citer littéralement tout en développant certains éléments qui n’y sont qu’esquissés en puisant dans la biographie de Bachmann. Rappelons que celle-ci mourut des suites de brûlures subies lors de l’incendie de son appartement romain. Aussi le feu qui consume la vie de la femme écrivain est-il le motif central de toute la dernière partie du film, Schroeter déclarant d’ailleurs avoir pris un immense plaisir à faire partir en flammes, à la fin du tournage, le vaste décor construit dans les studios de la Bavaria.
Cafés viennois, lacs de montagne, château rempli de trophées de chasse, surgissement d’un passé nourri de légendes lors de scènes rêvées en costumes se déroulant à l’époque des guerres napoléoniennes : l’Autriche qui apparaît dans le film est à la fois conforme aux clichés folkloriques et touristiques et minée de l’intérieur par les traumatismes de l’histoire et du roman familial.
Le film accentue la virulente charge féministe et anti-patriarcale du roman en introduisant dès le pré-générique un père violent et incestueux (joué par Fritz Schediwy) qui frappe sa fille dans une terrifiante scène de conflit entraînant une mort d’homme (Malina déclarant à la police : une simple fête de famille, les gens sont un peu surexcités).
Cette figure de troisième homme (titre de la partie centrale du roman), grotesque et terrifiant, resurgira tout au long du film. Les deux autres, Ivan (joué par l’acteur hongrois Can Togay), l’amant fuyant les conflits et les sentiments trop extrêmes, et l’énigmatique Malina (impeccable Matthieu Carrière), alter-ego de la protagoniste dont on croit d’abord qu’il est son sur-moi bénéfique et rassurant avant de le soupçonner d’un étrange double jeu, sont-ils autre chose que des projections de cette femme sans nom qu’incarne une Isabelle Huppert parlant avec la voix de voix de Lisa Kreuzer mais stupéfiant comme jamais par la concentration et la liberté ludique de son jeu ?
Todesarten - Manières de mourir, c’est ainsi qu’Ingeborg Bachmann envisageait de nommer le vaste cycle romanesque inachevé dans lequel devait s’inscrire Malina. C’est d’ailleurs le titre, plusieurs fois cité, du manuscrit auquel travaille dans le film la femme écrivain et qu’elle s’amuse un moment à transformer en Todesraten (Mort à tempérament ou Mort par traites). On sait par ailleurs quelle place occupe la mort dans la mythologie viennoise dans laquelle Schroeter ne manque pas de puiser, faisant par exemple converser Ivan et la femme au milieu des amas de crânes dans les catacombes de la Michaelerkirche.
Dans Malina, joyeuse danse macabre, ou plutôt rituel funèbre, Werner Schroeter tutoie la mort une une fois de plus, la regardant en face et la célébrant sans pour autant la mettre sur un piédestal. Car la beauté sublime et fascinante de cette suite de visions de rêve éveillé, crées avec le soutien de la chef opératrice Elfi Mikesch et de la costumière Alberte Barsacq, est sans cesse menacée et exacerbée à la fois par l’humour, et même le burlesque.
Mais, bien sûr, plus encore que par la splendeur visuelle et la vivacité ludique de la mise en scène, c’est par la musique que Schroeter imprime sa marque et donne au film sa véritable dimension. La partition de Giacomo Manzoni creuse l’ensemble d’une sourde inquiétude et l’irruption soudaine de la voix de Maria Callas chantant quelques mesures de l’air de Rezia dans Oberon de Weber, de celle de Lotte Lehmann dans le Komm, o Hoffnung du Fidelio de Beethoven, ou l’apparition de Jenny Drivala interprétant, lors d’une fête costumée, un air poignant de l’Antigona de Traetta, provoquent les électrochocs émotionnels qui contribuent à donner à Malina la beauté brûlante des chefs-d’oeuvres.
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