Le 10 octobre 2006
Rencontre avec le brillant auteur de Tout est illuminé, qui signe un second roman à l’inventivité stylistique toujours plus foisonnante.
Rencontre avec le brillant auteur de Tout est illuminé, qui signe un second roman à l’inventivité stylistique toujours plus foisonnante : Extrêmement fort et incroyablement près.
Extrêmement fort et incroyablement près, pourquoi ce titre ?
En fait c’est assez simple. Je n’aime pas les titres qui ne sont que le reflet d’une histoire, qui disent explicitement ce qu’on trouve dans un roman. Je préfère les titres qui au contraire posent des questions, font réagir le lecteur et le poursuivent pendant sa lecture, le laissant libre dans son interprétation. Les titres de mes deux romans ont quelque chose d’impressionniste, ils ne se réfèrent à rien de spécial. C’est comme notre prénom. Je m’appelle Jonathan, c’est tout. Pourquoi je m’appelle Jonathan ? Je ne me suis jamais posé la question. Je suis Jonathan, point.
Mais Tout est illuminé avait un sens, celui-ci n’en a-t-il pas ?<br>
Bien sûr que si. Je n’ai pas appelé ce roman "Les zèbres qui sautent sur les nuages" ! En fait ce titre a une forte signification, car il y a là des choses qui sont bruyantes, d’autres silencieuses, d’autres qui sont proches, et d’autres qui sont lointaines. En fait, ce sont des choses qui sont liées aux relations humaines de ce roman, qui sont basées sur la proximité ou l’éloignement, le silence ou le bruit.
Pourquoi avoir écris un roman "post 11 septembre" ?
En fait au début je travaillais sur un sujet totalement différent, un autre roman que celui que vous pouvez lire. Mais peu à peu, les choses ont changé, de manière inconsciente. Je n’écrivais pas sur le 11 septembre, j’avais choisi un musée comme toile de fond, mon héros était plus âgé... mais au fond, c’était déjà un roman sur l’après 11 septembre, sans que je le sache. Je ne saurais pas expliquer clairement ce qui a changé en moi, mais il faut au moins trois ou quatre ans pour écrire un roman, et pendant ce temps là le monde change, nous changeons...
Quel est votre propos sur ces événements ?
Je n’en ai pas. Je n’écris jamais pour dire quelque chose. Je n’ai pas d’arguments à défendre. Je n’ai pas de morale à imposer. Je n’ai même pas l’impression d’avoir une histoire à raconter... Je voulais juste ajouter un nouveau point de vu, un regard différent à la mémoire collective de l’après 11 septembre, qui est totalement trustée par les politiciens et les journalistes. Pendant deux ans, le porte-parole officiel du 9/11, c’était Georges W. Bush. Néanmoins, je ne pense pas que mon livre soit politique. C’est simplement une expérience différente.
Pourquoi avoir choisi un enfant comme personnage principal ?
Premièrement, c’est le narrateur idéal pour ce genre d’histoire, car tout ce qu’il voit, il le dit, tout ce qu’il sent, il l’exprime. Il est totalement ouvert au monde qui l’entoure, au contraire des adultes, qui réfléchissent toujours deux fois avant de se prononcer. Ensuite, le 11 septembre a poussé les gens à extérioriser leur part d’enfance. Beaucoup ont pleuré pour la première fois depuis bien longtemps, ont dit "je t’aime" à leurs familles, etc. Cette catastrophe ne nous a pas rendus naïfs, mais a fait disparaître, un temps, les couches de protections que les adultes bâtissent autour d’eux. Enfin, plus simplement, j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce personnage. Je l’ai trouvé drôle, sympathique, parfois frustrant, mais j’ai tout de suite eu beaucoup d’affection pour lui.
Vos deux romans sont des quêtes, vos personnages cherchent quelque chose. Cherchez-vous vous-même quelque chose par l’écriture ?
Probablement oui... particulièrement si je pense à la façon dont j’écris, au fur et à mesure, sans jamais rien calculer ni prévoir. C’est un processus continu de découverte. Donc, en un sens, je suis toujours à la recherche du livre que j’écris. Voilà ma quête.
Extrêmement fort et incroyablement près est aussi une sorte de jeu...
Je voulais qu’il soit une sorte de compilation d’une quête de sens, mais surtout le reflet - y compris formel - de la vie d’Oskar, mon héros, qui est pleine d’invention. J’aimerai que le lecteur se prenne aussi à ce jeu de la recherche de sens.
Pourquoi avoir pris pour sujets de vos deux premiers romans la Shoah et le 11 septembre ?
Pour Tout est illuminé, la Shoah était liée avec une telle force à l’histoire de ma famille que ça s’est imposé. Je sentais que je ne pouvais pas écrire sur autre chose, que je devais faire un roman autour de ce sujet avant de pouvoir passer à autre chose. Je pense que c’est la même chose pour le 11 septembre. Je vis à New York depuis toujours, et c’est sans doute ce qui est arrivé de plus important dans l’histoire ce cette ville, chacun est resté marqué par ces événements. Il me semble que je ne pouvais pas ne pas écrire sur les conséquences de cet événement.
Vos personnages se ressemblent un peu...
En fait, ils sont tous les deux profondément impliqués dans des problématiques familiales. Mais comment ne pas écrire sur la famille ? Tout le monde a une famille ! On ne demande jamais à J.K. Rowling pourquoi elle écrit sur des magiciens alors qu’on va demander à quelqu’un qui écrit sur la famille pourquoi il le fait ! C’est marrant non ? C’est quand même bizarre d’écrire cinq bouquins à la suite sur des magiciens...
D’où vous vient votre créativité, le style unique de vos romans, encore plus fort avec ce second ouvrage, où on peut trouver des dessins, des photos, des gribouillages, etc. ?
Chaque auteur a sa propre façon d’exprimer sa créativité, de dire les choses. Je pense que je suis quelqu’un de très visuel, donc j’ai besoin de montrer par l’écriture et les images (pour ce second roman) ce que je ressens. C’était d’autant plus nécessaire que le 11 septembre a été un événement tellement visuel, sans aucun doute l’événement le plus vu de l’histoire de l’humanité.
D’où viennent les photos d’Extrêmement fort et incroyablement près ?
J’en ai pris certaines, d’autres sont liées à la vie d’Oskar, d’autres viennent des journaux, comme celle de Lleyton Hewitt, qui est celle de la couverture du New York Time du 10 septembre. En fait, chaque photo a un sens et est placée à un endroit précis du texte. Au-delà, si on les regarde de plus près, si on les compare, elles entretiennent certaines correspondances entre elles.
N’avez-vous pas peur que ces inventions perdent les lecteurs, qu’ils n’arrivent plus à considérer votre roman comme un roman ?
Ça n’a pas à être un roman, en fait. Appelez ça comme il vous plaira. Mon but dans la vie ce n’est pas d’écrire des romans, c’est de créer ce que je cherche à créer...
Votre premier roman a été adapté au cinéma [1], qu’en est-il de celui-ci ?
Eh bien, quelqu’un travaille déjà dessus... Je ne suis pas sûr que ça va se faire, mais Michel Gondry a été contacté. C’est sans doute un bon choix, j’adore son travail. De plus, ce livre là est plus simple à adapter que mon premier roman...
Propos recueillis à Paris le 27 septembre 2006
Photo Jonathan Safran Foer © Jean-Claude Figenwald
[1] L’excellent Tout est illuminé de Liev Schreiber
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