Le 18 janvier 2025
Laurent Lafitte est absolument époustouflant dans ce rôle de comédien propulsé malgré lui sur le champ de bataille du Liban. Une œuvre aussi passionnante que dense.


- Réalisateur : David Oelhoffen
- Acteurs : Simon Abkarian, Bernard Bloch, Laurent Lafitte, Manal Issa, Tarek Yaacoub
- Genre : Drame, Film de guerre
- Nationalité : Français, Belge, Luxembourgeois
- Distributeur : Le Pacte
- Durée : 1h56mn
- Âge : Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
- Date de sortie : 15 janvier 2025
- Festival : Festival d’Angoulême 2024

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Résumé : Liban, 1982. Afin de respecter la promesse faite à un vieil ami, Georges se rend à Beyrouth pour un projet aussi utopique que risqué : mettre en scène Antigone afin de voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide. Les personnages seront interprétés par des acteurs venant des différents camps politiques et religieux. Perdu dans une ville et un conflit qu’il ne connaît pas, Georges est guidé par Marwan. Mais la reprise des combats remet bientôt tout en question, et Georges, qui tombe amoureux d’Imane, va devoir faire face à la réalité de la guerre.
Critique : Il a le regard dur, terrassé par une année de guerre au cœur du Liban, jusqu’au moment où il comprend que son chauffeur vient d’être bombardé par des Syriens. Georges est un comédien parisien, habitué au cocon protecteur du milieu artistique. Rien ne devait le propulser sur la scène du Liban, sinon que le metteur en scène qui a réuni des comédiens issus de toutes les communautés religieuses en conflit est mourant et qu’il ne peut pas accomplir la mission autant politique qu’artistique qu’il entend mener. C’est ainsi que Georges se retrouve en plein Beyrouth où les musulmans et les chrétiens se livrent une guerre interminable, au détriment d’ailleurs des valeurs de paix qui structurent pourtant ces deux courants religieux. Tout l’enjeu pour lui, au-delà de la préparation de la pièce d’Anouilh Andromaque, est de concilier les contraires autour de cette pièce de théâtre, hautement symbolique dans le contexte guerrier du Moyen-Orient.
- Copyright Le Pacte
Le Quatrième mur est une adaptation du roman de Sorj Chalandon qui avait été primé en 2013 par le Goncourt des lycéens. Il y a en effet dans le long-métrage une véritable intensité romanesque qui mêle la complexité interculturelle du Liban à un récit sur l’amitié, l’amour et l’engagement politique à travers l’art. Car jouer des personnages dans un pays où la religion quelle qu’elle soit est enfermée dans le piège de la radicalité ne va pas de soi. Le protagoniste doit rassurer les comédiens, les dignitaires religieux et les chefs des armées que la pièce comme la mise en scène ne viendront pas corroborer les haines locales. Ainsi, le récit suit la bataille du comédien pour réussir à réunir les acteurs dans ce projet commun, tous étant issus des communautés religieuses qui se livrent un combat fratricide infernal.
Le Quatrième mur est d’abord un film de guerre qui prend ses sources dans le conflit encore si présent aujourd’hui entre les musulmans, les juifs et les chrétiens. Il faut sans doute un peu de références historiques pour bien appréhender la complexité des rapports sociaux qui se jouent au Liban entre les différentes communautés. Chacun est reclus dans un espace intellectuel et moral qui n’entend faire aucun compromis avec les autres. Le projet théâtral porté par Georges se transforme, au moins pour un temps, en un exemple singulier, certes occidentalo-centré, de la réunion des contraires.
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Laurent Lafitte incarne son personnage avec une authenticité aussi déconcertante que bluffante. L’acteur évolue dans des espaces poussiéreux et guerriers, faisant petit à petit l’expérience d’une guerre qui aurait pu se tenir à l’écart de son existence. On assiste d’ailleurs pendant près de deux heures à la transformation idéologique et physique de cet homme qui se retrouve contraint, au-delà du projet artistique, de choisir un camp. On retrouve la puissance de jeu du pensionnaire de la Comédie-Française jusqu’il y a peu, qui apporte à son rôle une intensité dramatique hors du commun. En réalité, on apprend à ses côtés les rouages d’une guerre communautaire qui n’est pas prête à se calmer, tant les incompréhensions entre les peuples s’aggravent au fur et à mesure que les bombes défigurent les paysages du Liban.
Le Quatrième mur est écrit comme un thriller politique qui voit la mutation psychologique d’un artiste propulsé malgré lui sur une scène guerrière. Le récit est construit de façon rétrospective, permettant de comprendre l’ouverture très intense du long-métrage. La puissance narrative conjuguée au talent des acteurs offre un point de vue passionnant sur le conflit israélo-palestinien qui perdure encore aujourd’hui dans une absurdité déconcertante. David Oelhoffen affiche une mise en scène impeccable, d’une grande maîtrise, avec des reconstitutions des scènes de guerre à Beyrouth absolument impressionnantes. Et c’est l’occasion de redécouvrir toutes les facettes de jeu dont le grand Laurent Lafitte est capable.