Le 31 octobre 2024
Ozon signe l’un de ses meilleurs films avec cet hommage à Fassbinder, se réappropriant le matériau du réalisateur allemand, pour un réjouissant jeu de massacre.
- Réalisateur : François Ozon
- Acteurs : Isabelle Adjani, Hanna Schygulla, Denis Ménochet, Khalil Ben Gharbia, Stefan Crepon
- Genre : Comédie dramatique, LGBTQIA+
- Nationalité : Français
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h25mn
- Date télé : 31 octobre 2024 23:05
- Chaîne : France 2
- Date de sortie : 6 juillet 2022
- Festival : Festival de Berlin 2022, Festival de La Rochelle 2022
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Peter von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de l’aider à se lancer dans le cinéma...
Critique : François Ozon s’était déjà frotté à l’univers de Fassbinder en adaptant Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (2000), avec Bernard Giraudeau et Malik Zidi. Bien qu’agréable, le long métrage était somme toute mineur dans la filmographie d’Ozon. Ce qui est loin d’être le cas avec ce Peter von Kant. Rappelons que Les larmes amères de Petra von Kant fut une grande réussite théâtrale de Fassbinder, qui inspira d’autres metteurs en scène, dont Dominique Quéhec au Théâtre national de Chaillot et au Théâtre Montparnasse (1979-80), avec Geneviève Page. Entre-temps, Fassbinder avait réalisé sa version cinéma culte (1972). Si l’on compare les deux longs métrages, Ozon a légèrement modifié la trame et les personnages. Le scénario d’origine, comme la pièce, ne présentait que des personnages féminins, avec un contexte lesbien prédominant. Trois protagonistes sont ici masculins, avec une connotation gay. Ainsi, la star de la mode (Margit Carstensen) est-elle devenue un cinéaste à succès (Denis Ménochet). À l’obscur objet du désir qu’était Hanna Schygulla succède un gigolo arriviste et manipulateur, décidé à percer dans le cinéma sans effort, et qui est incarné par la révélation Khalil Ben Gharbia. Quant au rôle muet de la domestique et assistante humiliée (Irm Hermann), il est ici tenu par le jeune Stefan Crepon dans un emploi identique.
- © Carole Bethuel / 2022 FOZ. Tous droits réservés.
Mais ces transformations restent dans la lignée des intentions de Fassbinder, tant il est clair que le récit avait une dimension autobiographique. Ozon a ainsi déclaré dans le dossier de presse : « À partir de là, la manière de revisiter ce texte était claire pour moi : transformer le personnage de Petra en homme, Peter von Kant, et en faire un réalisateur. Ce qui me permettait de parler de Fassbinder – et par effet de miroir, aussi de moi. Il s’agissait de trahir Fassbinder pour mieux le retrouver et me retrouver moi-même dans une histoire universelle de passion amoureuse, plus que jamais d’actualité, interrogeant les rapports de domination, d’emprise et de soumission dans la création, le rapport muse/pygmalion ». Le film ne pourra que séduire les cinéphiles, en premier lieu par les multiples références à la vie et l’œuvre de Fassbinder, dont Peter von Kant est indéniablement le double. Il est ainsi question d’un projet de scénario autour d’une Allemande dans l’après-guerre, qui évoque d’emblée Le mariage de Maria Braun (1979). On retrouve aussi la chanson "Each Man Kills The Thing He Loves" (Querelle, 1982), interprétée naguère par Jeanne Moreau et aujourd’hui par Adjani. Et ce n’est pas une surprise d’avoir confié le rôle de la vieille mère à la Schygulla, qui fut du projet d’origine. Mais nulle nostalgie ou vision anecdotique dans ces choix ; tout au plus pourra-t-on parler de fétichisme cinématographique, qui est aussi l’image de marque d’Ozon depuis son plus ou moins sulfureux Sitcom (1998). Car Peter von Kant est bien en conformité avec l’ensemble de la filmographie d’Ozon.
- © Carole Bethuel / 2022 FOZ. Tous droits réservés.
Moins sombre que Fassbinder, Ozon ose l’humour boulevardier (dans le bon sens du terme), là où le réalisateur allemand jouait davantage dans l’ironie pince-sans-rire et la distanciation. En ayant coupé certains dialogues, Ozon n’édulcore pas Fassbinder : il va à l’essentiel, conférant à son récit une épure faisant écho à la trame de Sous le sable (2001). Et l’on retrouvera avec bonheur les portraits d’adolescents (ou post-adolescents) à l’ambiguïté manifeste, comme cela fut le cas avec Jeune & jolie (2013) ou Été 85 (2019). Surtout, Peter von Kant permet de retrouver le Ozon admirateur de Sirk (comme Fassbinder), et de stars de cinéma vieillissantes mais mythiques. Après Charlotte Rampling dans Sous le sable, Danielle Darrieux ou Catherine Deneuve dans Huit femmes (2002), Ozon utilise admirablement les personnalités d’Isabelle Adjani et Hanna Schygulla, même si elle ne constituent pas les figures principales de la narration. Film admirable sur les rapports d’autorité et d’avilissement, Peter van Kant doit aussi beaucoup aux collaborateurs artistiques et techniques dont le directeur photo Manu Dacosse, la cheffe costumière Pascaline Chavanne et la cheffe décoratrice Katia Wyszkop. Jouant admirablement le registre de l’émotion et du grotesque, Denis Ménochet est prodigieux. Il avait déjà été dirigé par le réalisateur avec Dans la maison (2012) et Grace à Dieu (2019). Il trouve ici le deuxième grand rôle de sa carrière, après Jusqu’à la garde de Xavier Legrand (2018).
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.