Le 21 juin 2024
Évitant les écueils de son sujet "casse-gueule", François Ozon livre un film humaniste particulièrement pertinent sur les affres destructrices de la pédophilie... des affres auxquelles l’actualité fait tristement écho.
- Réalisateur : François Ozon
- Acteurs : Éric Caravaca, Josiane Balasko, Frédéric Pierrot, Bernard Verley, Melvil Poupaud, Aurélia Petit, Hélène Vincent, François Marthouret, Denis Ménochet, Bernadette Le Saché, Swann Arlaud, Xavier de Guillebon, Alexandre Steiger, Nicolas Bridet
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Belge
- Distributeur : Mars Distribution
- Durée : 2h17mn
- Date télé : 7 juin 2023 21:00
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 20 février 2019
- Festival : Festival de Berlin 2019
Résumé : Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi. Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne.
Critique : À la fois cinéaste et scénariste, François Ozon clame haut et fort ne pas vouloir livrer avec Grâce à Dieu "un film à charge contre l’Église". L’idée reste sur le papier terre-à-terre en cela que les ambitions primaires du film sont de dresser des portraits d’hommes meurtris, victimes de la pédophilie. Mais dès l’introduction, on sent qu’Ozon, scénariste, et Ozon, cinéaste, se mènent un combat qui les oppose farouchement. Le plan d’ouverture du long métrage est particulièrement symptomatique de ce conflit d’ambitions : un homme d’Eglise avance lentement, de dos, vers la métropole. La caméra le suit en travelling alors que, dans une pose messianique, l’ecclésiastique semble dominer la ville qui s’étend à perte de vue, en toute impunité.
- Copyright photo Jean-Claude Moireau
Structurée par quelques cadres iconiques, la porte d’entrée du nouvel Ozon semble détachée du reste de la réalisation parce qu’elle permet, consciemment ou inconsciemment, de faire valoir sa fonction cinématographique à une audience qui n’est pas dupe. Car si le public va devoir regarder les trois personnages principaux droit dans les yeux durant les 2 heures 17 de projection, ce n’est absolument pas le cas de l’homme de Dieu qui lance le récit lorsqu’apparaît sobrement le titre Grâce à Dieu à l’écran.
- Copyright photo Jean-Claude Moireau
La construction qui fait suite à cette posture christique va finalement aborder le sujet de l’œuvre de façon plus traditionnelle, mais avec beaucoup de subtilité. En choisissant d’alterner les points de vue des trois personnages principaux (excellents Poupaud, Ménochet et Arlaud), aux horizons sociaux et culturels complètement différents, le cinéaste se permet quelques digressions sociétales, inscrivant son étude dans une instantanéité que peu de ses confrères français réussissent à accomplir avec autant de talent. Comme il l’avait affirmé lors dès prémices du projet, Ozon soulève moult questions lancées dans une toile diégétique tissée par des recherches que l’on sent très poussées, mais demeure bien incapable de livrer toutes les réponses attendues. C’est la grande force, mais aussi l’une des rares faiblesses du film, lorsque celui-ci pèche par excès de didactisme. On peut effectivement se questionner quant à la pertinence de certaines lettres lues dans leur intégralité en voix off... Mais reprocher au cinéaste cette façon de faire reviendrait à passer sous silence la capacité de son cinéma à orchestrer des images qui viennent désavouer les discours (une fois de plus, la scène d’introduction).
- Copyright photo Jean-Claude Moireau
Mais l’éclatante réussite du film, celle qui coïncide avec l’ambition d’objectivité absolue dans le traitement des enjeux, découle de l’admirable gestion des points de vue. Lors des scènes d’échanges entre les victimes et leur prédateur, principalement de "simples" champs-contrechamps, le prédateur en question (qui ne niera à aucun moment les charges retenues) est montré comme un homme démuni face à ses agissements, il se présente comme étant "malade". On bascule dès lors dans une nouvelle mise en scène, qui s’éloigne des figures symboliques religieuses des premières secondes pour se river scrupuleusement à une étude conduite à hauteur d’homme.
- Copyright photo Jean-Claude Moireau
Conscient de la valeur journalistique de son scénario, Ozon n’a d’autre choix que de viser le réalisme et il ni y a rien à spoiler en affirmant qu’on quittera le film par une porte de sortie bien différente de celle par laquelle on est entré. Afin que l’on puisse croire à cette honte chevillée aux corps des individus blessés, mais surtout leur incertitude globale quant à l’avenir, le metteur en scène bâtit un dernier acte grandiose où les réponses dramatiques restent forcément "dans l’air". Pour que tout ce à quoi on assiste paraisse si vrai, si palpable, il est indispensable que les comédiens habitent pleinement leurs personnages, ce qu’ils font indéniablement. Mais il ne faut surtout pas oublier que si le long métrage est aussi intense, poignant et humble dans les limites imposées par sa propre nature, c’est que François Ozon est devenu l’un des meilleurs directeurs d’acteurs français en activité... Grâce à Dieu, l’un des plus grands films de son auteur !
- Affiche Le Cercle Noir - Photo Jean-Claude Moireau
– Ours d’Argent Berlinale 2019
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Pascale 23 février 2019
Grâce à Dieu - François Ozon - critique
Haletant de bout en bout pour un sujet connu, Ozon nous entraîne dans le vie de 3 des victimes du Père Preynat, les conséquences sur leur vie familiale, leurs émotions, convictions. Trois personnages joués à merveille par des acteurs qui tapent juste.
Un petit regret cependant, le personnage un peu oublié de celui qui a "raté" sa vie et qui refuse de témoigner. Pourquoi a t-il été un peu mis de côté ?
Bon, c’est quand même un film à ardemment recommander.
nani 4 mars 2019
Grâce à Dieu - François Ozon - critique
Film remarquable . N’en déplaise aux catholiques ce n’est pas une diatribe contre l’Eglise , ( quoique la première scène ....) mais surtout un combat contre le silence et surtout l’absence de sanctions de la part des prélats . le rythme est très soutenu , tension jusqu’au bout du film , les acteurs sont excellents , le ton est toujours étonnamment juste , a voir et revoir