Le 30 avril 2018
Grand succès de Fassbinder, ce mélodrame ardent repose sur les solides épaules d’Hanna Schygulla.


- Réalisateur : Rainer Werner Fassbinder
- Acteurs : Hanna Schygulla, Klaus Löwitsch, Ivan Desny, Elisabeth Trissenaar, Gisela Uhlen
- Genre : Drame
- Nationalité : Allemand
- Distributeur : Carlotta Films, UGC Distribution
- Durée : 2h00mn
- Reprise: 2 mai 2018
- Box-office : 648 996 entrées France
- Titre original : Die Ehe der Maria Braun
- Date de sortie : 22 mai 1979

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Résumé : Maria et Herman ont connu un bonheur éphémère durant la guerre. Maria, devenue entraîneuse, se raccroche à la pensée de l’être aimé. Lorsqu’il réapparaît, elle tue son amant et Herman s’accuse du meurtre.
Critique : Le film s’ouvre et se clôt par une explosion, mais alors que la première tient presque du burlesque, malgré le contexte, et marque une naissance (un mariage, le cri d’un bébé), la seconde signifie la fin de Maria Braun, au moment même où elle retrouve le mari avec qui elle n’a vécu que quelques heures. Sombre destin, digne d’un mélodrame, ce que le film est aussi, mais magnifique de précision, et préparée par une première cigarette allumée avec la gazinière. Deux cigarettes, deux explosions, dans cette œuvre qui multiplie les échos, les répétitions, les parallélismes, comme le symptôme d’une société qui bégaie interminablement, du nazisme au libéralisme. De cette société Maria est le symbole direct, tournée vers l’avenir, avançant à grands pas à l’image de cette scène de bar où elle fend la foule des danseurs.
Elle avance, imperturbable et sans morale, et si les autres sont fatigués (jusqu’au médecin qui se pique), elle déborde d’énergie, et incarne même l’énergie vitale. Il faut dire que Hanna Schygulla rayonne dans ce rôle, auquel elle apporte sa beauté et sa grâce, bien que, comme dans tout bon mélodrame, son bonheur soit empêché : Hermann, son mari parti au front, est déclaré mort. Quand il revient (une première fois), il la trouve avec Bill, un GI noir. Elle le tue, il endosse le crime et va en prison. Commence alors l’ascension de Maria, qui rencontre Oswald, dont elle devient la maîtresse – mais c’est elle qui le décide- et l’irremplaçable collaboratrice.
Quand Hermann sort enfin, qu’elle a de quoi vivre largement, il s’enfuit au Canada. Deuxième empêchement, mais celui-ci la brise. Irascible, cynique, elle achète une maison trop grande et engueule la secrétaire.
Enfin Hermann revient, une dernière fois, mais quelque chose est cassé : Maria s’agite, parcourt la maison pendant que son mari reste immobile. Ils ne sont plus accordés, plus dans le même espace. Il ne reste qu’à conclure : machination, mort.
Dans ce récit à rebondissements, Fassbinder utilise les ingrédients du drame (mort, résurrection, meurtre, héritage), mais il les entremêle et modifie leur signification : la « résurrection » devrait être synonyme de retrouvailles, mais Maria est avec son amant ; l’héritage devrait tout résoudre, mais il révèle un complot. Et pourtant le cinéaste, avec des moyens un peu plus importants qu’à son habitude, côtoie la « grande forme » hollywoodienne : ainsi de cette séquence superbe où elle attend son mari, pancarte dans le dos, traversant une foule compacte. Mais c’est dans les lieux clos qu’il est le plus à son aise, inventant une scénographie des plus riches ; que ce soit dans le bureau et ses deux espaces séparés par une colonne, dans la maison propice aux sur-cadrages, ou dans les ruines de l’école, toujours la mise en scène règle une chorégraphie méticuleuse.
Le film fonctionne comme s’il était l’adaptation d’un roman-fleuve dans lequel les scénaristes auraient taillé à la hache : plus de dix ans d’une vie racontée en deux heures, avec force ellipses. Si les dates ne sont pas données, elles se devinent par des indices, sans doute plus familiers aux Allemands, mais qui concourent à structurer ce récit parfaitement linéaire. D’année en année et selon un schéma classique, Maria s’élève puis sombre. Son énergie vitale (celle de l’Allemagne) ne devient qu’agitation et malaise : ainsi de cette belle séquence au restaurant, évidemment la seconde, dans laquelle elle est presque seule face aux serveurs figés (premier malaise) puis, au moment de partir, elle vomit (second malaise) pendant que, pour le seul spectateur, un couple s’enlace au premier plan.
On ne saurait épuiser la richesse d’un film aussi exubérant : des lectures politique ou onomastique figurent dans les bonus du coffret Carlotta. On pourrait ajouter la description précise de l’après-guerre et du manque (séquence de la bagarre pour un mégot, par exemple). On pourrait gloser sur le symbolisme jamais appuyé (Maria jetant la pancarte avec le nom de son mari, n’est-ce pas l’Allemagne qui rejette son passé ?), s’attacher à tel détails (la persistance de bruits qui se font écho (mitraillage, marteau-piqueur, machine à écrire, clés du gardien) ou s’émerveiller devant tel travelling ondoyant, tel sur-cadrage ingénieux (le pique-nique vu depuis la fenêtre). Mais ce qui reste en mémoire, indubitablement, c’est surtout la réussite d’un portrait d’une femme indépendante, presque balzacienne en ce qu’elle met toute son énergie et tous ses moyens en direction d’un seul but, une femme hors du commun pour une œuvre hors du commun.