Le cinéma allemand contemporain
Le 27 juin 2023
- Réalisateurs : Rainer Werner Fassbinder - Wim Wenders - Wolfgang Becker - Oliver Hirschbiegel - Werner Herzog - Christoph Hochhäusler - Christian Petzold - Angela Schanelec - Harun Farocki - Maren Ade
- Acteur : Paula Beer
- Nationalité : Allemand
- Auteur : Pierre Gras
- Festival : Festival de Berlin 2023
L’enseignant et conférencier Pierre Gras, spécialiste du cinéma allemand, qui présente actuellement dans les salles, sous l’égide de l’ADRC, le film La conférence , a accepté de nous accorder un entretien.
Pierre Gras est conférencier indépendant et enseignant à l’université Paris 8 Vincennes à Saint-Denis. Il a travaillé auparavant à la Cinémathèque française, à l’Agence nationale pour le développement du cinéma en régions (ADRC) et à l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID).
Spécialiste de l’histoire du cinéma allemand, il est l’auteur de Good Bye Fassbinder - Le cinéma allemand depuis la réunification (éditions Jacqueline Chambon - Actes Sud, 2011 et traduction allemande Alexander Verlag Berlin, 2014).
Par ailleurs il a aussi écrit L’économie du cinéma (éditions Cahiers du cinéma - Scérén/CNDP), ainsi que de nombreux textes consacrés aux films de cinéastes tels Alain Resnais, John Ford, Wong Kar-wai, R.W. Fassbinder, Samuel Fuller.
AVoir-ALire : Pouvez-vous nous parler de votre parcours et ce qui vous a amené à devenir conférencier et formateur sur le cinéma ?
Pierre Gras : J’ai fait des études supérieures générales. Fin des années 70, il n’y avait peu ou pas à l’époque de formations universitaires spécifiques de cinéma, et j’ai découvert celui-ci par les revues ou en allant voir des films, allemands entre autres. J’ai donc bien connu l’époque Fassbinder, Wenders ou Herzog.
J’ai ensuite été salarié de différentes associations liées au cinéma, connues ou moins connues. J’ai notamment travaillé pour la Cinémathèque française pendant près de dix ans, où j’ai été tour à tour administrateur et directeur adjoint. Je participais à la conception des programmes, sur les aspects organisationnels, pédagogiques, mais aussi financiers.
AVoir-ALire : Pourquoi vous êtes-vous particulièrement intéressé au cinéma allemand ?
Pierre Gras : C’est en marge d’une réunion de travail, que j’ai commencé à m’intéresser plus particulièrement au cinéma allemand. Fin des années 90, début 2000, un producteur français m’a fait découvrir le travail de Harun Farocki, réalisateur de documentaires principalement, expérimentaux et novateurs, mais pas du tout distribués en France. En suivant son parcours, et en voyant ses films dans des festivals, j’ai découvert qu’il participait aussi aux scénarios de films de fiction d’un jeune cinéaste encore moins connu nommé Christian Petzold. Je me suis dit : si cet homme si cultivé, et qui s’intéresse autant au cinéma, collabore avec un inconnu, j’ai vraiment envie de voir à quoi ça peut ressembler. Et en fait Christian Petzold va devenir l’un des cinéastes majeurs du nouveau cinéma allemand avec Barbara (Ours d’argent à la Berlinale 2012) ou encore Ondine (Ours d’argent 2020 pour son actrice principale Paula Beer).
Poursuivant mes recherches, j’ai aussi découvert Angela Schanelec au moment où est sorti Good Bye Lenin ! de Wolfgang Becker (2003), qui a constitué un véritable redémarrage pour le cinéma allemand. Du coup, j’ai revisité tout le cinéma de ce pays des années 90 et 2000. J’ai ainsi creusé le sujet et découvert notamment le travail de Christoph Hochläusler.
AVoir-ALire : Quelques mots sur votre livre Good Bye Fassbinder ?
Pierre Gras : C’est à ce moment que j’ai quitté la Cinémathèque pour l’ADRC, comme secrétaire général. J’ai alors intensifié mon travail d’écriture, et j’ai commencé à préparer mon livre Good Bye Fassbinder, qui a intéressé Jacqueline Chambon d’Acte Sud. Sa parution m’a permis de faire ensuite de nombreuses interventions.
J’ai ensuite quitter l’ADRC pour l’ACID, avant de choisir de devenir totalement indépendant comme intervenant et enseignant. Dans mes interventions, le cinéma allemand a une place essentielle, mais n’est pas le seul : j’ai travaillé également sur le cinéma d’animation ou sur le cinéma italien.
AVoir-ALire : Où se situe le cinéma allemand contemporain ?
Pierre Gras : Je vais chaque année à la Berlinale. J’ai eu la chance que mon livre soit traduit en allemand. Curieusement, il n’y avait pas d’ouvrage général sur ce cinéma, en tout cas sous forme de synthèse. Je continue donc à le découvrir et à le faire découvrir.
Pour le spectateur français, le cinéma allemand se résume à des périodes de renouveau alternant des périodes de total calme plat. Souvent malheureusement, soit les films ne sont pas distribués, soit ils le sont de manière trop confidentielle.
À part les productions nationales et américaines, il y a actuellement peu de place pour les autres nationalités. En ce moment, il n’y a guère que le cinéma japonais qui se fait réellement une place avec des auteurs repérés.
AVoir-ALire : Des auteurs à retenir ?
Pierre Gras : Le dernier meilleur succès allemand en France est Toni Erdmann de la cinéaste Maren Ade qui date tout de même de 2016.
Vu du festival de Cannes, qui reste la référence, il n’y a pas aujourd’hui de "super" auteur allemand reconnu, comme il peut y avoir Nanni Moretti pour l’Italie ou Pedro Almodóvar pour l’Espagne.
Il y a bien Fatih Atkin qui a eu un peu de succès avec notamment Soul Kitchen (2009) mais son nom d’origine turque ne facilite pas l’identification pour le spectateur français. Pathé sort bientôt son dernier film, Rheingold (le 28 juin), la biographie d’un rappeur allemand, Xatar. Il a aussi fait un film courageux, mais un peu bancal, sur le génocide arménien, qui s’appelle The Cut, n’a pas obtenu les faveurs de la critique, et lui a donné une "mauvaise" réputation.
Il y a aujourd’hui l’actrice Sandra Hüller, qui pourrait symboliser d’une certaine manière le retour du cinéma allemand. Seulement les deux derniers films dans lesquels elle joue, présentés cette année à Cannes, sont l’un français, l’autre britannique.
Autre paradoxe, les succès en Allemagne et en France de films allemands peuvent être qualifiés d’isolés. Malgré leurs sujets très forts, ils n’en entraînent pas d’autres dans leur sillage comme ce fut le cas pour Good Bye Lenin ! (La réunification) déjà cité, La chute de Oliver Hirschbiegel (la fin du nazisme) ou encore La vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck (les écoutes téléphoniques en RDA). Les réalisateurs de ces trois films n’ont pas non plus retrouvé par la suite le même succès, et de fait, ne bénéficient pas du statut d’auteur. Du coup, on peut dire qu’actuellement, il n’y a pas vraiment d’auteur majeur en Allemagne.
Le fait que les films soient achetés par des plus petits distributeurs ne leur donne pas non plus une grande visibilité.
Le spectateur prend ainsi l’habitude de voir principalement des films américains ou français et s’en familiarise avec les acteurs, voire les cinéastes, ce qui n’est le cas pour le cinéma allemand. Ensuite, la critique française à quelques exceptions prêts, ne le suit pas spécifiquement, et du coup les exploitants sont rarement demandeurs.
Christian Petzold, que j’ai déjà évoqué, qui fait des films plutôt grand public, est l’exemple même du cinéaste qui pourrait prétendre à une notoriété internationale.
Son dernier film Le ciel rouge qui sort chez nous en septembre pourrait bien recueillir un certain succès.
Les productions allemandes sont aussi malheureusement peu prisées dans la sélection pour Cannes, en partie à cause de leur propre festival, la Berlinale, qui a lieu juste avant et fait la part belle à leur œuvres nationales et de langue allemande. De plus, les producteurs n’ont jamais pris le risque d’employer, même en partie, des acteurs internationaux, voire décider de faire des films en langue anglaise ce qui aurait pu peut-être leur ouvrir d’autres débouchés.
Angela Schanelec est une cinéaste très intéressante aussi, mais ses films sont d’un accès plus difficile et donc moins accessibles à tout public. Après son film Music qui a obtenu l’Ours d’argent à Berlin cette année, Il semblerait que le grand producteur Saïd Ben Saïd (Téchiné, Cronenberg, Verhoeven...) soit en pourparlers pour travailler avec elle, ce qui pourrait lui donner plus de moyens, peut-être une dimension internationale et donc lui ouvrir d’autres possibilités de distribution.
AVoir-ALire : Comment se porte le marché du cinéma allemand actuellement ?
Pierre Gras : Il est sensiblement moins important que celui de la France, et encore plus dominé par les productions américaines. Il y a aussi plus de films à petit budget, des documentaires, et des films pour enfants qui fonctionnent bien. Les films dits d’art et d’essai, qui bénéficient de moins de soutien public qu’en France, font aussi beaucoup moins d’entrées.
Aujourd’hui la VOD et les chaînes de cinéma apportent une meilleure visibilité. Il y a aussi ARTE qui propose régulièrement des films allemands sur sa plate-forme.
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