Le 2 août 2021
Film de l’excès, fantasmatique et politique, Lola, une femme allemande est une œuvre amère et magistrale.
- Réalisateur : Rainer Werner Fassbinder
- Acteurs : Mario Adorf, Armin Mueller-Stahl, Barbara Sukowa, Matthias Fuchs, Helga Feddersen
- Genre : Comédie dramatique
- Distributeur : Carlotta Films, AMLF Distribution
- Durée : 1h55mn
- Date télé : 2 août 2021 20:55
- Chaîne : Arte
- Reprise: 2 mai 2018
- Box-office : 345 687 entrées France / 131 929 entrées Paris Périphérie
- Titre original : Lola
- Date de sortie : 18 novembre 1981
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Résumé : En 1957, von Bohm est nommé directeur des travaux publics dans une petite ville de RFA. Il s’oppose rapidement à Schuckert, individu louche et cynique, spécialisé dans la spéculation immobilière. Entre eux, une femme, Lola.
Critique : Après le succès du Mariage de Maria Braun et la fâcherie avec Hanna Schygulla, Fassbinder accepte de tourner un remake de L’ange bleu, qu’il transpose dans les années 50. Mais évidemment, Lola s’écarte de son modèle et devient un film de son auteur, l’un des plus stylisés avec Querelle, c’est-à-dire l’un des plus irréalistes. Le traitement de la lumière et de la couleur, anti-naturels, sert non pas à décrire un cadre mais à le réinventer selon les besoins narratifs. Ainsi les personnages peuvent-ils être dans le même espace mais dans une tonalité différente : côte à côte dans la voiture, Lola est rose et von Bohm bleu.
Il y a certes une explication plausible à ce déferlement de couleurs, puisqu’une partie du film se passe dans un bordel aux éclairages variés. Mais ce lieu central, le refoulé d’une société, contamine les autres intérieurs, de la chambre bariolée de Lola au bureau aquarium de von Bohm. Pur entre les purs, ce dernier reçoit une lumière artificielle qui illumine ses yeux. Selon le vieil adage de Fassbinder, il faut montrer le faux pour arriver au vrai.
Lola est une prostituée chanteuse, vulgaire et agressive qui, au début, se plaint de ce que la poésie soit toujours triste. Sur un défi, elle entreprend la conquête du nouveau directeur des travaux publics, aussi rigide sur ses principes professionnels que sur la morale. Autour de ce saint qui va tomber, les « notables », corrompus, font la loi ou s’en arrangent. C’est que le pays est en reconstruction et en expansion, comme le serine le sinistre Schuckert, protecteur et amant de Lola ; et les profits à venir font saliver tous ces personnages méprisants (voir la séquence du repas avec la gouvernante). Du point de vue symbolique, Schuckert pourrait représenter un capitalisme rapace et cynique qui « donne ici, donne là », prêt à arroser tout le monde. La libre entreprise devient reine, ignorant la morale et les syndicats. von Bohm lui-même n’y pourra résister et le projet immobilier qu’il refusait aura son accord, alors qu’il se marie avec Lola, abdiquant tous ses principes. Ainsi, le capitalisme avale et digère son opposition, et ce ne sont pas quelques syndiqués avec leurs pancartes pathétiques qui influeront sur lui. Devenu conforme, von Bohm peut épouser Lola, c’est-à-dire l’Allemagne, même si elle n’est qu’une putain qui a dans sa corbeille de mariée un bordel. Peut-on mener réflexion plus amère sur le passé de son pays ? Passé dont on s’efforce de gommer la réalité en inaugurant une statue au nom des soldats allemands, qui n’étaient pas tous nazis…
Lola est un film politique, sans aucun doute, c’est aussi une manière de pastiche des grands mélodrames (les clins d’œil à Sirk, notamment avec la livraison de la télévision) plus rutilant, voire kitsch, mais d’un kitsch assumé. Fassbinder y glorifie l’excès (de couleurs, de lumières, de sentiments, de sons) en brassant des thèmes attendus à sa manière, soit des miroirs, des sur-cadrages, des caches dans le cadre, des travellings circulaires, tout son arsenal qui est à la fois une signature et une vision, une manière d’appréhender le monde des apparences, de la dissimulation et de l’enfermement. Il glisse aussi des allusions à d’autres films : ainsi le faux aveugle vient-il de Roulette chinoise, comme les poupées ; le générique et la mère veuve du Mariage de Maria Braun. Quant à la dernière phrase, « je suis heureux », elle rappelle le carton initial de Tous les autres s’appellent Ali. Unité et cohérence d’une œuvre majeure, qui trouve dans Lola l’une de ses incarnations les plus abouties et intransigeantes.
– Ce film est compris dans le prestigieux coffret Carlotta Rainer Werner Fassbinder, vol. 2, paru le 18 avril 2018.
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